La Bourse Tunisienne version 2012 : La route de l’excès mène au palais de la sagesse (Par Eymen Errais)

La bourse tunisienne, dans sa version 2012, a eu un parcours mouvementé au rythme des événements et espérances politico-économiques du pays. Dans un sens, la bourse a mûri, elle s'est aguerrie. Fini les temps ou le simple leurre de distributions d'actions \gratuites\ fait flamber le cours ou la rumeur d'acquisition d'une société cotée par un investisseur stratégique fait bouger le marché. Les investisseurs en bourse ne sont plus dupes, ils savent ce qu'ils veulent, le mot d'ordre sur leurs lèvres est ... Résultats.


L'indice Tunindex ne s'est d'ailleurs pas fait prier; après un deuxième trimestre en fanfare pour atteindre un rendement annuel de 10,86% en Juillet 2012, le marché a réalisé que ces niveaux de cours sont en dessus de la valeur réelle des entreprises d'une bourse qui reste chère par rapport à la région. La prise de bénéfice a commencé cet été 2012, les investisseurs ont commencé à sortir du marché mais il n'y avait pas de panique encore et puis, il y a eu ce fameux vendredi du 14 septembre. En un mois le marché a perdu 7% et ensuite 12% sur 3 mois. La capitalisation boursière tunisienne étant de l'ordre de 14 milliards de dinars, cet acte et partant cette baisse nous a coûté 1,7 milliards de dinars qui sont partis en fumée. Les superstitieux se rappellent toujours que l'accélération de la grande crise financière de 2008 a commencé par la faillite de Lehman Brothers un certain ... 14 septembre 2008.


Mais il serait tout de même intéressant d'aller plus dans les détails pour comprendre le comportement du marché en 2012.


Dans cette situation politico-économique complexe qu'a traversée le pays dans un contexte mondial tout autant difficile, les investisseurs se sont tournés en 2012 vers des valeurs dites refuges. Le premier secteur qui a bénéficié de cette stratégie est le secteur immobilier où on voit, par exemple, que Essoukna a connu une hausse de 56,7% depuis le début de l'année et Simpar 33,8%. L'autre secteur qui a bénéficié de ce comportement est le secteur de distribution. Il est, en effet, le secteur de cash par excellence où les clients payent cash et les fournisseurs sont payés à des délais variant de 30 à 90 jours. En période de crispation, le cash est roi ( \cash is king\), et l'engouement pour ce secteur était palpable à travers notamment Monoprix avec ses 15,4% de progression, Magasin général avec 25,9% de rendement sur l'année mais aussi Artes avec ses 17,10% et Sotumag du haut de ses 67,3% .


Cette crispation sentie déjà pendant l'été avec une baisse des volumes s'est transformée en panique après le 14 septembre ce qui a engendré une certaine dislocation du marché où quelques rapports logiques d'équilibre entre les différents cours ont disparu. Si on prend, par exemple, le secteur bancaire, qui est le secteur dominant du marché financier tunisien, on trouve que la BNA a un PER (Price Earning Ratio) de 7 alors que pour la BIAT il est de l'ordre de 18. En d'autres termes, si on investit 100 dinars dans la BNA, on récupère sa mise au bout de 7 ans alors qu'il faut attendre 18 ans pour la BIAT. Certes, il est vrai qu'il y a toujours une décote du public par rapport au privé pour les banques, mais cette décote est de l'ordre de 20% et non du simple au double. D'ailleurs la BH a un PER de 28 loin des 8 de BNA alors que les deux banques sont publiques. A mon sens, le marché cherche encore les prix d'équilibre de plusieurs titres et on aura dans les prochaines semaines de gros mouvements de cours où les institutionnels ( les SICAV, FCP, Assurances, etc.) vont intervenir pour bénéficier de cette dislocation de prix.


Dans tout ce marasme, il y a eu tout de même une belle histoire, comme dans tout conte de fée, c'est l'histoire de Electrostar qui a connu un performance de 388% en un an. Il est vrai que certains analystes financiers de la place s'accordent pour dire que cette progression est irrationnelle et n' a pas de fondements économiques; mais il ne faut pas oublier que ce nouveau niveau de prix ( prix à deux chiffres) dure depuis 9 mois et que quoiqu'on dise le marché a toujours raison. Electrostar est la valeur qui est venue nous rappeler deux principes importants du trading \ Trend is your friend\ et \go with the flow\.


Qu'est ce qu'il en sera pour l'année 2013 ? A mon avis, l'année 2013 va être une année difficile mais cruciale, c'est malheureusement une autre année de transition au même titre que 2012 car, sur le plan politico-économique, on est en train de jouer les prolongations. Pire encore, on est dans une situation où à l'instar de deux équipes jouant un match de foot qui s'est soldé par un nul, décident à la fin du temps réglementaire de continuer de jouer jusqu'à ce qu'une des deux équipes finisse par gagner. Il y a eu donc changement des règles du jeu mais surtout manque de visibilité et de transparence, et les marchés ont horreur de l'incertitude. La bourse 2013 va donc continuer sa danse au rythme des hymnes politiques et battements économiques.


Toujours côté perspectives 2013, on dit souvent que le secteur du leasing est le poumon de l'économie, si le leasing va tout va. Quant on voit une société comme l'ATL connaître une progression du résultat net de 56% et une augmentation des mises en force de 28%, on ne peut être qu'optimiste. Mais il ne faut pas oublier non plus que la progression du leasing dernièrement est probablement due au resserrement de la liquidité bancaire et les restrictions dans l’octroi de crédit. Est ce que cette amélioration du rendement est due à une relance économique ou au manque de crédit bancaire ? On aura la réponse à cela au milieu de 2013.


Finalement, il y a aussi l'espoir suscité par les nouvelles introductions en bourse de 2013, \un espoir qui luit comme un brin de paille dans l'étable\. Ces introductions devraient être très bénéfiques pour la bourse tunisienne engendrant une amélioration de sa profondeur et sa représentativité de l'économie. Beaucoup de secteurs restent en effet mal représentés à la bourse tunisienne comme les secteurs touristique, agricole, télécommunication ou énergétique. Ces introductions vont dans ce sens ramener du sang neuf à la bourse tunisienne mais gare à une surévaluation des titres. Le marché a connu une correction et cette correction doit être incorporée dans les prix d'introduction. La bourse est arrivée à une étape de sa croissance où pour passer au palier suivant elle aura besoin d'un saut qualitatif. Cette montée en qualité et en compétences nécessite l'intervention de tous comme le dit si bien un vieux proverbe africain \ pour élever un enfant, il faut tout un village\.


Eymen Errais, PhD, FRM

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