La rencontre-débat sur les apports de la loi de finances 2023 et les impératifs de relance, a été organisée à l'initiative de l'Ordre National des Experts-comptables de Tunisie (OECT) le jeudi 12 janvier. A cette occasion, la ministre des finances, Sihem Boughdiri a défendu le texte soumis depuis sa promulgation à de vives critiques. La ministre a notamment invoqué la « marge de manœuvre limitée » du gouvernement face à la situation économique dont il a hérité, et surtout, et à plusieurs reprises, au « cadre international » qui a mis l'ensemble de l'économie mondiale dans tous ses états.
L'intervention de la ministre a suivi le mot d'introduction de Walid Ben Salah, président de l'OECT, qui a, quant à lui, blâmé le « manque de vision claire » et, comme tous les détracteurs de la loi de finances, une « pression fiscale excessive » qui pourrait toucher davantage la compétitivité et la pérennité des entreprises déjà fragilisées depuis plusieurs années, ainsi que le pouvoir d'achat des citoyens....Le budget de l'Etat qui a atteint 70 milliards de dinars a augmenté de 15%, a fait remarquer Ben Salah, soit 43,5% du PIB, et dépassant les références internationales. Les dépenses de l'Etat sont devenues un fardeau lourd pour l'économie, dominées à hauteur de 86% par les dépenses de gestion et les aides sociales entre autres, et reléguant les dépenses d’investissement (6,7% du budget) au second plan. Walid Ben Salah estime que le budget 2023 favorisera l’inflation à travers les réductions du subventionnement et les hausses des prix des intrants dans la production et la distribution de la plupart des produits, dont notamment l'énergie. A l'exception de certaines mesures visant à prolonger des dispositions pour soutenir les PME en difficulté, la nouvelle loi de finances ne contient pas de nouvelles mesures incitatives pour l'investissement, a insisté le président de l'OECT.
Pour sa part, l’économiste Hachemi Alaya, fondateur du think tank TEMA, s'est montré très pessimiste sur les apports de la loi de finances et les perspectives de l’économie tunisienne. La Tunisie n'a pas besoin de réformes mais d'une « transformation pure et simple de son modèle économique », a insisté le professeur. Le pays est « en crise depuis longtemps », bien avant la crise sanitaire et les chocs engendrés par la guerre en Ukraine, a-t-il ajouté. La Tunisie n'a pas réussi à réaliser la croissance de rattrapage qui a permis à plusieurs pays de retrouver leur niveau d'avant-crise ; le PIB a prix constant de 2022 est encore loin de son niveau de 2019, a fait remarquer Hachemi Alaya, qui rappelle que le tunisien s'est encore appauvri ces trois dernières années, dans le sillage de la tendance observée depuis 2010. Il a affirmé que la crise de l'économie tunisienne est structurelle profonde et tient son origine dans l'inadéquation des choix économiques faits depuis plusieurs années. Pour la loi de finances proprement dite, Hachemi Alaya, a indiqué que la Tunisie est devenue le champion d'Afrique de la pression fiscale, dont le niveau est quasi-équivalent à celui des pays riches de l'OCDE, selon ses propos. L'entreprise tunisienne est parmi les plus lourdement taxées au monde, comme en témoigne un rapport de Price Waterhouse, ajoute l'expert, avec un taux de prélèvement sur les bénéfices (y compris tous autres prélèvements obligatoires) « qui dépasse les 66% ». A cela s'ajoute la bureaucratie asphyxiante qui reste un des principaux obstacles à l'investissement. Pour Hachemi Alaya, le contexte politique en Tunisie et les prémices d’une récession chez ses principaux partenaires dans la zone Euro, laissent peu de place à l'optimisme pour 2023, où la croissance attendue est déjà faible, puisque le budget prévoit un taux de seulement 1,8%.
A son tour, Fayçal Derbel, Président d'honneur de l'Ordre des Experts Comptables, a pris la parole pour présenter les principaux chiffres du budget 2023 et de la loi de finances rectificative. 2022 était « l'année des records de sous-performances », a indiqué l'expert, avec les niveaux d'inflations inédits, le déficit commercial qui a atteint 25,216 milliards de dinars, soit deux fois celui de 2020, le déficit de la balance alimentaire très élevé, conjugué à des pénuries dans plusieurs produits, et enfin un taux directeur qui culmine à 8% pour la première fois après trois relèvements opérés par la Banque Centrale.
Mohamed Derbel, expert-comptable, a pour sa part évoqué les recommandations de la réforme fiscale de 2013-2014, qui n'ont été que « très faiblement suivies » et qui, de toutes façons, sont devenues caduques. La Tunisie n'a fait que rajouter des couches au labyrinthe fiscal d'année en année, a indiqué l'expert, avec des choix ciblant principalement les impôts directs pour les gouvernements successifs. De 2013 à 2023, plus de 560 mesures fiscales ont été ajoutées à un système qui comptait 508 articles, avec 4003 prises de positions et 222 notes communes émises, a souligné Mohamed Derbel. Le système est ainsi devenu très lourd à gérer, aussi bien pour le contribuable que pour l'administration, a-t-il ajouté ; on se retrouve aujourd'hui avec un contribuable sur deux en défaut de déclaration face à des moyens faibles pour opérer les vérifications, avec en plus des recettes très limitées provenant du régime forfaitaire. Pour l'expert-comptable, il est temps de revoir et surtout de simplifier le système fiscal, en poursuivant l'élargissement de la base des contribuables pour bien répartir la pression fiscale. Une réforme réussie implique aussi de soigner la divergence entre fiscalité et comptabilité qui ne mène qu’à des contentieux houleux et fatigants pour tous. Mohamed Derbel a insisté sur l'importance de la modernisation de l'administration fiscale, en la dotant des moyens indispensables pour jouer pleinement son rôle.
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