Beaucoup de militants de Nida Tounés (mais aussi d’Ennahdha) ont mal digéré l’entrée de représentants du parti de Rached Ghanouchi dans le gouvernement annoncé lundi 2 février 2015 par Habib Essid. L’une des raisons d’être, sinon LA raison d’être, de la création du parti Nida en 2012 était de contrer le parti islamiste et d’y être une alternative « moderniste et progressiste ». D’ailleurs, Nida est un patchwork de personnes de différentes sensibilités dont les deux principales caractéristiques étaient d’être « Tous contre Ennahdha », au moins au début, d’une part, et d’être derrière le leader charismatique qu’est Béji Caïd Essebsi, fondateur du parti et vieux routier de la politique tunisienne.
La déception de beaucoup de militants de Nidaa quant à l’entrée d’Ennahdha au gouvernement était palpable et est très compréhensible. Cela dit, les supporters de Nida (et ceux d'Ennahdha) n'ont pas à s'offusquer maintenant de l'entrée du parti islamiste au gouvernement car ils étaient déjà partenaires dès le début!
En effet, Mohamed Ennaceur a été élu à la présidence de l'ARP avec 170 voix sur 217, c'est à dire qu'au moins une partie des élus d'Ennahdha a voté pour lui. En outre, le même jour, Abdelfattah Mouro, vice-président d’Ennahdha, a été élu vice-président de l'ARP avec plus de 150 voix, c'est-à-dire, en partie au moins, grâce à des voix de Nida. Il ne faudrait pas perdre de vue, à ce niveau, que le parlement est la source principale du pouvoir dans la nouvelle constitution.
D’autre part, Habib Essid a été désigné par Béji Caïd Essebsi car il est aussi acceptable pour Ennahdha et a même été conseiller de Hamadi Jebali. Selon nos sources, et pour nommer un chef du gouvernement, toutes les personnalités consultées par BCE pour occuper le poste, ont pour caractéristique commune d’être acceptées par Nidaa et par Ennahdha. Parmi ces personnalités, figurent le chef du gouvernement sortant Mehdi Jomaa mais aussi le constitutionnaliste Yadh Ben Achour et la présidente de l’UTICA Ouided Bouchamaoui qui a même décliné l’offre une deuxième fois le matin même de la nomination de Habib Essid. Tous avaient refusé le poste.
Par ailleurs, BCE a déclaré à plusieurs reprises qu'on ne peut pas ignorer un parti ayant obtenu 69 sièges (soit près du tiers du parlement) et ce, outre le fait que les 4 principaux partis de la nouvelle coalition partagent les mêmes orientations socio- économiques à quelques nuances près, ce qui devrait faciliter la promulgation de réformes économiques de premier plan (PPP, énergie, décentralisation, accords de coopération économique et financière avec les partenaires internationaux de la Tunisie, etc.).
BCE a démontré à travers cette seconde mouture du gouvernement Essid qu'il mène le jeu et que les autres dirigeants de Nidaa se sont trompés de méthode samedi dernier en essayant de faire barrage à l'entrée d'Ennahdha au gouvernement à travers une déclaration solennelle. Si BCE avait accepté la recommandation du bureau exécutif de Nidaa, cela aurait représenté "un putsh" au sein du parti qu'il a créé et auquel les observateurs, et même les citoyens lambda, l'y identifient, même s'il l'a quitté officiellement.
Profitant des nombreuses failles du nouveau système mixte instauré par la nouvelle constitution, BCE est en train de réussir sa transformation, durant son mandat, en "régime présidentiel" pour quatre raisons: la victoire relative de Nidaa Tounes qui demeure son bord politique, la propre légitimité électorale de BCE, sa forte personnalité et sa propre histoire politique. Ce qui lui permet de mettre plus le curseur du côté présidentiel que du côté parlementaire du système mixte.
En plus, BCE, pragmatique, n'a pas les mêmes ambitions que ses anciens lieutenants à Nida Tounés: au nom de la Realpolitik, il peut chercher la stabilité politique et la mise en œuvre de réformes rapides et urgentes à travers un gouvernement comprenant Nida et Ennahdha, là où les autres dirigeants de Nida se positionnent dans une posture de rivalité, somme toute normale, par rapport à Ennahdha.
Les supporters de Nidaa (et des autres partis d’ailleurs) devraient savoir que BCE ne fait pas cadeau à ses partenaires et il ne fait que jouer avec les cartes qu'il a en mains: si Nida avait gagné les élections législatives avec une majorité plus confortable, il se serait passé outre le concours d'autres partis, y compris celui de ses alliés "naturels".
Cela dit, le gouvernement Essid, contrairement à ce que lui prédisent certains politiques et autres analystes, ne sera pas faible, malgré quelques imperfections de casting, car il sera homogène au niveau des orientations de ses membres et très bien soutenu au niveau de l'ARP.
Toutefois, la tâche est loin d'être facile dans un pays qui ne tourne pas à plein régime et où les aspirations et les besoins sont trop nombreux au point d'être étouffants.
Donc, entre « Realpolitik » et « Raison d’être » supposée, Béji Caïd Essebsi a tranché en attendant de voir le gouvernement Essid sur le terrain et de le juger sur pièces!
Naoufel Ben Rayana
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