Le projet de loi sur la réconciliation dans le domaine économique et financier a fait couler beaucoup d’encre depuis qu’il a été initié par la présidence de la République, et pour cause ! Abordant la question sensible de l’éventualité de faire ardoise vierge en matières de dépassements et de malversations, nombreuses ont été les voix qui se sont élevées contre le projet de loi. Des mouvements de protestations ont jonché alors les rues de la capitale outre mesure sous le slogan : « Je ne pardonne pas ! ». Depuis, le projet de loi croupit dans les étagères de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), laissant cours à une série d’autres lois à caractère prioritaire.
Voilà que depuis quelques jours, la présidence de la République a remis le sujet au goût du jour en présentant une nouvelle version du projet de loi sur la réconciliation économique , privilégiant une conciliation entre les impératifs de la justice transitionnelle et l’insistant besoin de défiger une situation accablante des fonctionnaires empêchant ainsi une réelle relance économique. Face à la Commission de la législation générale au sein du Parlement, la présentation du projet de loi a été confiée au soin du directeur du cabinet présidentiel, Selim Azzabi. Ainsi, la Commission avait-elle émis une série de commentaires à l’égard dudit projet de loi et qui a été prise en compte pour une version améliorée et qui se veut « plus avisée ». Le nouveau texte comprend, désormais, deux types d’amnistie ainsi qu’un mécanisme de réconciliation.
A qui profitera l’amnistie économique ?
Il s’agit de la première catégorie ou du premier type d’amnistie qui profitera à tout agent public ou assimilé qui est poursuivi dans des affaires d’actes de malversation financière ainsi qu’atteinte aux finances publiques. Sont exclues de ces affaires celles afférentes à la corruption et au détournement de fonds publics. La cible visée par cette catégorie d’amnistie verra les poursuites judiciaires engagées à son encontre et les jugements en cours suspendus. Quant aux peines prononcées, elles seront prescrites.
Qui et comment prétendre à la réconciliation économique ?
Les principaux concernées par la réconciliation sont toute personne ayant tiré un avantage d’un ou plusieurs actes de malversation financière ainsi que d’une atteinte aux finances publiques. Pour pouvoir y prétendre, il faudra présenter une demande de transaction à l’amiable circonstanciée, auprès d’une commission de réconciliation (dont la création se fera par la présidence du Gouvernement). Une fois la demande est introduite et acceptée, toute poursuite judiciaire sera suspendue ainsi que les délais de recours.
La commission se charge, d’abord, de vérifier les documents soumis et procède ensuite à l’estimation des montants et des avantages ayant été obtenus dans le cadre de l’affaire en question et là-dessus décidera du montant qu’il faudra rembourser, majoré d’une pénalité de 5%. Ce sera auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), que les sommes de remboursement seront réglées dans un compte spécifique. Ce dernier sera affecté à des projets d’infrastructure, de développement régional et durable, de soutien financier aux PME et autres projets économiques dans des régions prioritaires, et ce, de façon exclusive. La Cour des Comptes supervisera la gestion du compte spécifique.
Lorsque les modalités de ce processus de réconciliation seront exécutées de façon complète et intégrale, il y aura extinction de la plainte publique.
Qu’en est-il de l’amnistie des infractions de change ?
Il s’agit de la deuxième catégorie d’amnistie qui s’adresse aux personnes ayant commis des infractions de change avant la date de promulgation de la nouvelle loi. Lesdites infractions sont :
- La non déclaration d’avoirs détenus à l’étranger ;
- Le non rapatriement en Tunisie de revenus et produits de biens réalisés à l’étranger ;
- La détention en Tunisie de devises étrangères en billets de banque et leur non dépôt auprès d’intermédiaires agréés, conformément à la réglementation en vigueur.
En ce qui concerne cette catégorie, les personnes qui s’y inscrivent doivent dans un délai d’une année :
- déposer une déclaration auprès de la Banque Centrale ;
- virer ou déposer les montants concernés dans un compte en devises ou en dinar convertible ;
- remettre une déclaration spéciale de revenus à la Recette des Finances ;
- acquitter un montant de 5% de la valeur des avoirs à la date de leur constitution.
Et la Commission de réconciliation ?
Conformément au projet de loi, cette commission sera nommée par la présidence du Gouvernement, et composée des membres suivants :
- Un représentant de la Présidence du Gouvernement, en qualité de président ;
- Un représentant du ministère chargé de la Justice ;
- Un représentant du ministère chargé des Finances ;
- Un représentant du ministère chargé du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale ;
- Deux représentants de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) ;
- Et le Chargé général du Contentieux de l’Etat.
A noter que la Commission de réconciliation statuera sur les dossiers de demande de réconciliation dans un délai de 3 mois, qui peut être renouvelé sur une décision motivée et seulement pour une fois.