L'année 2005 a été marquée par un ralentissement de la
croissance mondiale, la flambée des cours du pétrole ayant alimenté l'inflation
et fait craindre une chute de la consommation. Pour couper court à la menace que
représentent les tensions sur les prix, la Réserve fédérale américaine n'a pas
hésité à utiliser l'arme des taux d'intérêt pour éviter tout dérapage. Face aux
mêmes risques, la BCE n'a en revanche pas eu le loisir d'en faire autant,
pénalisée par une croissance apathique en Europe. Mais la tendance pourrait
s'inverser en matière de taux : la Fed se dirigeant vers une stabilisation,
tandis que la BCE pourrait entamer un cycle de resserrements. Une orientation
qui risque de donner un coup de frein à la remontée du dollar.
La Fed utilise l'arme des taux :
Fidèle à lui-même, l'Oncle Sam a de nouveau servi de
locomotive au reste du monde, même si ce fut contre vents et marées, et
notamment contre les trois ouragans qui ont frappé le sud du pays. Selon les
données compilées par Consensus Forecast, les États-unis ont enregistré une
croissance de 3,6% en 2005, dopés notamment par une hausse de 14% des bénéfices
des entreprises. Une progression qui n'a paradoxalement pas profité à Wall
Street, les investisseurs étant traditionnellement allergiques aux hausses de
taux d'intérêt. La flambée d'environ 40% des cours du pétrole a eu pour effet de
faire augmenter les prix de 0,7 point à 3,4%, sans pour autant freiner la
consommation. Craignant que les tensions inflationnistes ne mettent la
croissance en péril, la Réserve fédérale américaine a procédé à huit hausses de
ses taux directeurs en 2005, pour les porter de 2,50% à 4,25%, au plus haut
depuis avril 2001. Ces tours de vis monétaires ont d'ailleurs permis au dollar
de rebondir de près de 14% face à l'euro.
La BCE sur le qui-vive :
Le Vieux Continent a fait preuve d'une santé beaucoup plus
fragile, dans un contexte perturbé notamment par les " non " français et
néerlandais au projet de constitution européenne et par le bras de fer électoral
qui a paralysé l'Allemagne pendant près de deux mois. Le PIB de la zone euro a
progressé de 1,3% sur l'année, toujours selon Consensus Forecast, soit près de
trois fois moins qu'outre-Atlantique. La croissance a été freinée par une
consommation intérieure en panne et par un taux de chômage proche de 9%. Comme
son homologue américaine, la Banque centrale européenne a mis en garde contre
les risques inflationnistes liés à la hausse du pétrole. Mais la faiblesse de
l'économie des Douze a placé le président de la BCE face à un dilemme qui tient
de la quadrature du cercle : combattre l'inflation sans compromettre la
croissance. Craignant un emballement des prix, Jean-Claude Trichet n'a pas
hésité à affronter les foudres des responsables politiques et des organismes
internationaux en relevant le " Refi " d'un quart de point à 2,25% en décembre,
pour la première fois depuis le 5 octobre 2000.
L'après Greenspan :
Dans le communiqué accompagnant son dernier relèvement du
loyer de l'argent cette année, le comité de politique monétaire de la Réserve
fédérale américaine a retiré l'adjectif " accommodante " qui qualifiait jusque
là sa politique monétaire. Les observateurs en ont déduit que la Fed envisage de
mettre prochainement un terme à une campagne de hausse des taux qui a duré 18
mois. Toutefois, l'utilisation du terme " modéré " laisse la porte ouverte à un
ou deux ajustements supplémentaires en 2006 afin de combattre les pressions
inflationnistes. Les interrogations portent désormais sur ce que sera la
présidence de Ben Bernanke, qui succédera à Alan Greenspan en février. Membre du
conseil des gouverneurs de la Fed d'août 2000 à juin 2005, puis conseiller
économique à la Maison Blanche, Ben Bernanke a la réputation d'être partisan de
la transparence en considérant la communication comme un instrument de réglage
monétaire. Ce qui l'oppose à Alan Greenspan, qui s'est toujours ménagé une marge
de manoeuvre.
Inversion des rôles :
Les récents développements laissent supposer que
l'évolution des taux d'intérêt pourrait s'inverser dans les différentes zones
économiques. Selon une majorité d'économistes, la Réserve fédérale devrait
mettre fin à son cycle de hausse des taux au second semestre 2006, tandis qu'une
amorce de campagne de relèvements devrait voir le jour en Europe, et peut-être
même au Japon, où le loyer de l'argent est proche de 0%. Le président de la
Banque centrale nipponne a en effet déjà indiqué qu'un abandon de la politique
monétaire ultra-accommodante était envisageable alors que la période de
déflation, qui a duré sept ans, touche à sa fin. Bien qu'il se défende d'avoir
une stratégie programmée, le président de la BCE pourrait quant à lui relever le
" Refi " à 2,5% ou 2,75%, plusieurs responsables de la Banque centrale ayant
signalé qu'ils ne laisseraient pas l'inflation se développer. Dans ce contexte,
le dollar risque de perdre un soutien de choix : un différentiel de taux
favorable, et pourrait même renouer avec ses vieux démons que sont les déficits
budgétaire et commercial. Le billet vert pourrait ainsi tomber aux environs de
1,36 pour 1 euro au troisième trimestre, selon une estimation de Merrill Lynch
dans le cadre d'une étude réalisée par Bloomberg.
John Wiburg