Le gouverneur de la Banque Centrale Marouane El Abassi, est intervenu devant la direction et les membres de la Chambre Tuniso-Française de Commerce et d'Industrie (CTFCI), qui tenait son assemblée générale annuelle jeudi à Tunis, une intervention en partie consacrée à la conjoncture nationale, ainsi qu'au nouveau code des changes annoncé pour le mois de juillet.
El Abassi a évoqué en introduction, le rythme modeste de la croissance en 2021 et 2022, après une récession historique en 2020 provoquée essentiellement par la crise sanitaire. Le gouverneur a rappelé que les prévisions pour l'ensemble de l'année actuelle tablent sur une croissance encore lente, autour de 2,5%. Outre la poursuite des retombées de la crise sanitaire, cette évolution reflète l'impact de la guerre en Ukraine, qui affectera les industries manufacturières et les services, a fait remarquer El Abassi. Selon les estimations de la BCT, une baisse de l'activité économique dans la zone euro de 1%, entrainerait une baisse d'environ 0,4% de la croissance en Tunisie. Le gouverneur a aussi évoqué les fortes pressions sur les équilibres globaux, qui ne se sont pas encore pleinement remis de la période COVID-19, et l'élargissement "sensible" prévu du déficit commercial en raison de la forte dépendance de la Tunisie aux importations de produits stratégiques (énergie et céréales) à partir de la zone de conflit qui a fournis 42% des besoins de la Tunisie en céréales en 2021. Il a rappelé que le budget de l'Etat a été élaboré sur la base d'un baril de pétrole à 75 dollars, alors que les cours ont connu un pic à 128 dollars en mars. Le secteur du tourisme devrait aussi être touché, plus de 630 mille touristes russes avaient visité la Tunisie en 2019, a rappelé le gouverneur, pour des recettes avoisinant les 800 MD. Plusieurs facteurs se conjugueront donc pour porter le déficit courant au voisinage des 10% cette année, contre 6,8% prévus et 6,1% en 2021. Les déséquilibres des financer publiques s'aggraveront bien au-delà des prévisions de la loi de finances selon El Abassi, les prévisions tablaient par exemple sur une atténuation du déficit budgétaire. La hausse des cours des produits alimentaires et énergétique aura pour effet d'accélérer les dépenses de compensation, une hausse de 1 dollars du prix du baril de pétrole engendrera un surcoût de 137 MD selon le gouverneur, de même qu'une augmentation de 10 dollars des prix des céréales générera un coût supplémentaire de 80 MD. L'impact budgétaire de ces deux postes se situera autour de 3% du PIB, prévoit la BCT.
Avec un risque d'inflation à deux chiffres, le coût de l'inaction serait très élevé, a déclaré Marouane El Abassi, et compromettrait toute chance de stabilisation macroéconomique pour préparer le terrain à une vraie relance de la croissance. C'est dans ce cadre que s'inscrit le dernier relèvement par la BCT de son taux directeur de 75 points de base, a indiqué le gouverneur. Depuis plusieurs mois, la BCT n'a pas cessé d'alerter sur les risques de résurgence de pressions inflationnistes, et appelé à la mise en oeuvre de réformes structurelles. La BCT tente de contenir les pressions, notamment sur le secteur extérieur, afin de préserver les réserves de change et atténuer les pressions sur le dinar. Entre 2020 et 2021, la monnaie nationale a été relativement stable, en dépit de la morosité du contexte a fait remarquer El Abassi, grâce selon lui à la politique monétaire proactive de la BCT. L'institut d'émission veille à préserver la stabilité du taux de change du dinar par un suivi rigoureux du fonctionnement et de la liquidité du marché de change interbancaire. Depuis le début de cette année, le dinar a pourtant subi une forte volatilité par rapport au dollar, avec une dépréciation de 6,3% jusqu'au 9 juin, contre une légère appréciation de 0,9% face à l'euro. A noter que le dollar connait une hausse généralisée vis à vis des monnaies émergeantes, la livres égyptienne a perdu 19% face au billet vert, la livre turque 30%, et le dirham marocain 6,6%.
L'examen de tous ces éléments montre l'ampleur des défis auxquels est confrontée l'économie nationale, a déclaré El Abassi. Les différentes parties prenantes doivent conjuguer leurs efforts pour réunir les conditions nécessaires pour la création de la richesse et de l'emploi, efforts qui ne peuvent réussir sans la mise en oeuvre de réformes structurelles pour mettre en place un environnement financier et monétaire favorable et stimulant, affirme le gouverneur.
"consciente du rôle primordial de l'investissement en tant que levier de croissance économique, la BCT n'a cessé d'apporter son soutien à la promotion des investissements étrangers en Tunisie. C'est dans ce cadre qu'elle a déjà consolidé le principe adopté depuis la convertibilité courante de l'octroi de garanties de transfert en faveur des investisseurs non-résidents, des revenus découlant de leurs investissements réguliers réalisés en Tunisie", a rappelé Marouane El Abassi. "Aujourd'hui, la BCT, fidèle à son engagement de levée progressive des restrictions de change, travaille sur son nouveau code, afin de répondre au mieux aux attentes des opérateurs et aux mutations économiques et technologiques, et à l'accentuation de la concurrence internationale", a-t-il ajouté. Le sequencing de la libéralisation doit prendre en compte les conditions et les performances de l'économie, a cependant rappelé le gouverneur. La conduite du processus de libéralisation requiert une consolidation du système d'information de la BCT et un renforcement du contrôle interne des banques en matière de dispositif de change "afin d'assumer au mieux leur responsabilité quant à la délégation qui leur est confiée", a déclaré El Abassi. "Les usagers de cette réglementation doivent contribuer à la réussite de ce processus par la transparence et le respect de leurs obligations en matière de déclarations...".
Sans aborder pleinement les détails de cette nouvelle réglementation, Marouane El Abassi a indiqué qu'elle introduira entre autres, une souplesse au niveau de la définition de la notion de résidence avec un avantage comparatif pour les investisseurs étrangers. Elle apportera aussi une meilleure adéquation aux mutations technologiques et à l'évolution de l'écosystème. Un nouveau cadre alliant agilité et efficience marquera aussi cette nouvelle étape selon le gouverneur de la BCT.
Le régime de change actuel de la Tunisie a permis d'atténuer grandement les effets des crises successives que le pays a connu, a assuré le gouverneur de la BCT. Aujourd'hui il faut le mettre à "géométrie variable" pour que les "bons" qui "jouent le jeu et sont transparents" ne soient pas bloqués, une situation "culturellement finie" selon les terme de Marouane El Abassi, reste à comprendre pour les opérateurs que les conditions économiques d'aujourd'hui ne sont pas celles d'une convertibilité totale, a-t-il insisté.
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