Les initiatives très louables de l’association des anciens de l’IHEC (Alumni IHEC Carthage) et de la fondation Friedrich Naumann se sont poursuivies hier le 24 novembre 2016 avec une troisième matinale qui a porté sur un sujet d’actualité : Quel avenir pour le secteur immobilier en Tunisie ?
Le débat dirigé de main de maitre par Monsieur Khaled Fourati, président de l’association, montre les divergences de points de vue sur l’état du secteur et sur les responsabilités de chaque partie. Mr Fehmi Chaabane, président de la chambre nationale des promoteurs immobiliers de l’UTICA, a défendu la corporation mise au banc des accusé par un intervenant enseignant et consultant dans le domaine économique qui a dressé un comparatif entre les prix pratiqués en Tunisie et ceux dans des pays développés ; L’intervenant a fustigé la structure irrationnelle des prix du marché de l’immobilier neuf en Tunisie qui intègre des composantes injustifiées. Les prix ont connu une envolée fulgurante en l’espace de quelques années due, d’après à lui, à l’appétence des opérateurs.
Les prix à l’international des commodities ont connu une baisse généralisée depuis 2011, qui s’est répercuté sur les prix des logements dans des pays développés comme l’Allemagne. Le même intervenant a appelé les autorités à contrôler le marché et le prémunir de la tentation et des excès spéculatifs. Il a exprimé l’intérêt de promoteurs étrangers essentiellement des libyens à intervenir dans le secteur de la promotion immobilière selon les mêmes règles de jeux que les tunisiens. Il a aussi avertit que les dernières mesures de l’administration peuvent pénaliser certaines catégories de la population.
En réponse à certaines accusations, Mr Chabane a attribué la hausse des prix à la forte diminution des réserves foncières dans certaines zones, l’augmentation du coût de la main d’œuvre locale et la hausse des prix des matériaux de construction. Ainsi, certains emplacements au Lac ont vu le prix du m2 passer de 1000 DT à 6 mille DT entre 2011 et 2016 alors même que certaines zones encore à vocation agricole ont vu le prix unitaire du terrain passer de 20 DT à 400 DT, à l’instar de Borj Touil. Il a cependant loué l’intervention de l’AFH ainsi que certains propriétaires privés comme la SPLT, qui continuent de jouer le jeu de la transparence, organisant des appels d’offres périodiques. Leur intervention même sporadique a contribué à la régulation des prix dans des zones très demandées. L’attribution d’un lot/promoteur par l’AFH est en train d’être respecté précise Mr Chabane qui ne cache pas sa déception du comportement de certains opérateurs étrangers qui sont venus en fanfare avec des mégas projets qui se sont avérés par la suite utopiques et complètement irréalistes.
Ces promoteurs étrangers ayant acquis des parcelles de terrains à des prix symboliques, dans des circonstances connues par tout le monde, et à des conditions très avantageuses votées par l’ancien parlement dans le cadre de conventions bilatérales, ont essayé de marchander avec les promoteurs locaux dans un but purement spéculatif. Les modèles d’aménagements présentés au départ risquent de ne pas être respectés, avertit-il. Certains projets prévoient, rappelons-le, une dimension environnementale non négligeable et un droit de cession à des clients étrangers dont les européens. Il n’a pas manqué de signaler le sérieux des promoteurs saoudiens avec l’aménagement sur deux phases du Lac de Tunis, qui reste le seul projet bien entrepris par un opérateur étranger.
M. Rjiba, DG de la Banque de l’Habitat, première banque intervenant dans le secteur immobilier, et fin connaisseur du secteur, a expliqué le phénomène de ralentissement des ventes observé depuis quelques mois par l’orientation très prononcée des promoteurs vers le haut standing qui leur permettent de se procurer des marges supérieurs. Une telle offre est devenue inadéquate avec le contexte économique actuel qui se concrétise par une inflation galopante et un pouvoir d’achat en dégradation. Il a aussi précisé que sur 3040 promoteurs agrées, 800 seulement sont actifs, ce qui en dit long sur leurs difficultés de financement face à des banques soumises à de nouvelles règles de provisionnement. Les équipes commerciales de la BH sont conscientes que le client tunisien n’a plus les moyens d’accéder à des logements chers, précise M Rjiba, d’où les nouvelles formules d’épargne et de financement imaginées récemment par la banque pour aider au financement du secteur et redynamiser la demande sur le marché. Quand le Bâtiment va tout va, a martelé Mr Rjiba. Un constat édifiant challenge ces nouvelles formules, c’est que la capacité d’épargne logement s’est beaucoup érodée ces dernières années, et même un taux offert par la BH traditionnellement supérieur à ceux des autres banques n’arrive pas à infléchir cette tendance.
M. Chabane, est revenu à la charge pour nuancer l’état de crise qui accompagne tous les propos des observateurs depuis quelques mois à propos de la situation de son secteur, précisant que contrairement à ce qu’on pourrait penser le nombre de logements finis non encore vendus s’élève après le tout récent recensement fait par la chambre à 885 logements sociaux (inférieur à 200 mille DT) contre seulement quelques centaines de logements appartenant à la catégorie haut standing. Cette précision coupe court aux supputations qui évoquent un nombre de plusieurs milliers. Un chiffre de 650 mille logements vides repris dans les statistiques de l’INS a été évoqué par une intervenante, enseignante en statistique, a jeté le doute sur la proportion des logements inoccupés en Tunisie. Mr Chabane a confirmé la nécessité de réorienter les promoteurs vers les logements sociaux à moindre coût.
Il a rappelé qu’avant 2010, prés de 10 mille logements sociaux sont construits annuellement contre à peine 300 à 400 durant les deux dernières années. Il a loué l’initiative de l’Etat qui va instaurer le programme du « premier logement » à destination des jeunes qui veulent accéder à la propriété et qui, faute de moyens propres, se trouvent confrontés au refus des banques. A ce propos, un jeune analyste du secteur présent au débat, a fait savoir qu’avec une mensualité remboursée de 1400 DT pour un crédit de 160 mille DT, un jeune couple ne pourrait que difficilement accéder à un logement convenable et continuer à vivre dans des conditions normales. Le taux effectif global (frais de dossiers et assurances compris) reste trop élevé en Tunisie. Aussi bien Mr Rjiba que Mr Chabane ont insisté à dissiper un malentendu sur la contribution promise par l’Etat prévue à 280 millions de DT et qui servira, donc, à financer cette initiative ; Il ne s’agit nullement de fonds prélevés sur le FOPROLOS mais sur le budget de l’Etat.
L’autre levier commercial acquis grâce au soutien de l’Etat est l’ouverture du marché aux citoyens libyens qui ne seront plus tenus par une autorisation préalable du gouverneur pour enregistrer leurs biens. Le représentant de la chambre a précisé à ce propos que les autorités monétaires ont déjà institué une réglementation stricte quant aux moyens de paiements par les étrangers. Une attestation bancaire est désormais obligatoire pour éviter le risque de blanchiment d’argent. Mr Chabane a demandé, cependant, aux autorités de lever une entrave majeure, quant à la cession de logements acquis par les libyens aux tunisiens, soumise à une autorisation en amont. Ceci est de nature à freiner l’investissement étranger et donc décourager les nouveaux acheteurs. A ce propos, on peut conclure que le point de vue de l’état est parfaitement compréhensible puisqu’il craint le retour des anciens reflexes des dix dernières années et la création d’une nouvelle bulle spéculative alimentée cette fois-ci par les étrangers, ce qui pourrait être fatale pour le marché.
Mme Amina Jgham, sous directeur à la direction de l’urbanisme au ministère de l’équipement de l’habitat est intervenue pour donner un aperçu exhaustif sur la nouvelle politique de l’Etat quant au remodelage et révision des plans d’aménagement urbains dans plusieurs villes du pays ; Tous les présents ont été unanimes quant à l’impossibilité d’appliquer ces schémas directeurs dans les prochaines années, craignant que cela ne prenne une vingtaine ou une trentaine d’années. Mme jeghan a beaucoup insisté sur la démarche participative et collaborative de tous les intervenants, sans nier la difficulté de la tâche. La tutelle espère ramener certains délais de 10 ans à 18 mois pour accélérer l’urbanisation tout en veillant à créer une bonne gouvernance locale. Les PAU restent des outils réglementaires rigides, toute modification la plus minime qu’elle soit nécéssite une révision avec une lourdeur procédurale inouïe.
Elle a tenu à mettre en relief la grande anarchie urbaine que connaissent nos principales villes depuis les années 90. Cette anarchie a été provoquée par les distorsions dans les dispositions réglementaires, les multiples dérogations et les autorisations administratives à créer des zones hors plans urbains donnant lieu à l’habitat anarchique ou spontané. Nous rajoutons que les changements de vocation ont contribué à créer des zones enclavées qui ne respectent aucun sens rationnel dans leur expansion.
Certes, beaucoup de promoteurs ont bénéficié de ces distorsions mais tout le secteur semble en pâtir actuellement. Mme Jegham affirme que les différents services de l’équipement sont en train de coordonner leurs efforts avec les autres ministères pour alléger les procédures et libérer de nouvelles zones industrielles, touristiques et d’habitation qui respectent les aspects de multifonctionnalité et de mobilité les plus modernes. A ce titre, plusieurs professionnels venant de diverses régions du pays ont saisi la présence du seul représentant de l’Etat pour mettre en évidence les problèmes administratifs rencontrés au quotidien allant des permis de bâtir, des PV de recollement, de la gestion du contentieux foncier avec l’Etat, du gel des titres, du retard des branchements aux réseaux de la STEG et la SONEDE, des chevauchements des autorités territoriales et par-dessus tout de la rigidité des plans d’aménagements urbains. Il y a toujours quelques privilégiés qui arrivent à avoir leurs autorisations à temps, confirment quelques jeunes promoteurs.
M. Ralf Erbal, représentant résident de la fondation Friedrich Naumann a salué, dans un arabe parfait, la qualité des débats et l’engagement de sa fondation à accompagner la Tunisie dans toutes les initiatives portant de nouvelles idées de développement démocratique, social et économique. Il a rappelé que la Tunisie tient une place privilégiée dans la fondation étant le premier bureau ouvert par elle à l’étranger, et ce depuis 1958.
Entre la volonté de l’Etat de corriger les excès du passé et la quête des promoteurs de nouveaux terrains, de nouvelles opportunités pour poursuivre une activité commerciale légitiment lucrative, un juste équilibre doit être trouvé. Le débat reste ouvert.
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