Tout le monde est unanime en Tunisie pour dire que la détérioration du système éducatif (du primaire au supérieur) est manifeste ces dernières années. L’éducation dans le pays a cessé d’être cet ascenseur social qu’elle a été depuis l’indépendance à cause d’une approche qui date depuis le milieu des années 1990 et qui s’est focalisée sur la quantité (le nombre des élèves et des étudiants) au détriment de la qualité de l’enseignement qui se dégrade à vue d’œil, à l’exception de quelques « foyers » de bonnes performances (et parfois d’excellence), comme les collèges et lycées pilotes ou bien quelques institutions universitaires comme les facultés de médecine ou L’Ecole Polytechnique (EPT).
Le systéme éducatif Tunisien doit faire face aux défis suivants :
- Les inégalités sociales criardes entre les élèves et étudiants, entre les institutions et entre les régions ;
- Le manque d’interactivité entre Professeurs et élèves;
- Les méthodes d’enseignement (cours magistraux);
- La formation des formateurs;
- Le réaménagement des horaires d'enseignement ;
- Le calendrier des études et des vacances;
- L’enseignement des Langues;
- L’enseignement des Mathématiques;
- L’enseignement des Sciences;
- La Culture générale des élèves, étudiants et enseignants;
- La place des technologies d’information et de communication (TIC) dans l’enseignement ;
- La réforme du Bac en tant que Diplôme généraliste;
- Le manque d’équipements des institutions éducatives et universitaires;
- L’entretien des institutions éducatives et universitaires ;
- Les Cours particuliers;
- Les Conditions des enseignants;
- L’autonomie des institutions universitaires ;
- Les concours de recrutement des Enseignants (du primaire à l’université) ;
- Les concours préparatoires aux écoles d’ingénieurs et aux écoles de commerce ;
- L’autonomie des institutions universitaires ;
- Le Financement de l'éducation ;
- Les Fondations;
- L'autonomie des régions au niveau de l'éducation (à la lumière de la nouvelle Constitution qui institue la régionalisation).
Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, on assiste à l’émergence d’un système éducatif à deux vitesses : une éducation publique de plus en plus défaillante et une éducation privée plus moderne et plus performante. Certains, comme l’économiste Hechmi Alaya, parlent (déjà !) d’une école pour les pauvres (publique) et d’une école pour les riches (privée).
Cela pose la question épineuse du financement du système éducatif et de la « gratuité de l’école publique ». Sans remettre en question cette gratuité qui a permis, tout au long des 6 décennies de l’indépendance, de former des générations et d’huiler les rouages de l’ascenseur social, il est primordial, aujourd’hui, de se rendre à l’évidence que rien n’est vraiment gratuit et l’éducation de qualité (ou même sans qualité !) a un prix à supporter par l’ensemble de la société. Pour surmonter la médiocrité envahissante du système éducatif, un réaménagement des ressources est fondamental afin d’améliorer les conditions d’éducation de nos enfants et de travail des enseignants.
Pour faire face à tous ces défis dont les enjeux sont vitaux pour la Tunisie, il serait judicieux d’attaquer la plupart de ces sujets à très court terme car il y va de l’avenir de notre jeunesse et de notre pays. Le sujet de l’éducation doit être immunisé par rapport aux approches partisanes, l’objectif étant d’avoir un systéme éducatif citoyen et d’arriver à former des élèves, étudiants et futurs diplômés créatifs ayant une culture générale intéressante, une maitrise des langues nationale et internationales, une ouverture d’esprit sur l’international, un sens aigu de la citoyenneté et un diplôme assurant une employabilité élevée.
Le dialogue national sur l’éducation entamé le 22 avril a péché dés le départ par l’exclusion d’acteurs incontournables dans une réflexion sur l’Enseignement : les patrons ! Comment pourrait-on penser un instant à écarter les futurs employeurs de nos élèves et de nos enfants ?! Comment confier la réforme d’un système éducatif en dérive aux responsables de cette dérive ?! On ne fait pas du neuf avec du vieux !
Le sujet de l’éducation est un sujet transversal qui intéresse 99% des Tunisiens. L’éducation a été la colonne vertébrale de la Tunisie depuis l’indépendance. Faute d’implication de tous les acteurs de la société, la réforme sera tronquée, sujette à des approches sectaires et empreinte d’un manque de confiance dés le début.
Le débat national devrait constituer des Assises de l’Enseignement (y compris supérieur) pour dresser un état des lieux sans concession du systéme éducatif Tunisien, débattre des expériences internationales réussies (Chine, Singapour, Finlande, Canada, Colombie, OCDE, etc.), définir les attentes du systéme pour les années à venir et mettre en place une stratégie et des réformes pour les prochaines décennies. Ces Assises devraient impliquer les éducateurs, les experts nationaux et internationaux, les institutions publiques et privées, les partis, les associations, les employeurs, les syndicats, les étudiants, etc. Ce débat national devrait aboutir à un agenda des réformes et à une reprise en main de tout le secteur. La large participation et l’adhésion de toutes les parties prenantes (stakeholders) devraient assurer le succès des réformes par la suite.
Un « Institut de la qualité de l'éducation » pourrait être créé pour suivre ces réformes, établir un systéme de veille et s’inspirer des meilleures pratiques à l’étranger (Benchmarking), mettre en place un nouveau modèle éducatif Tunisien associant le systéme public et le systéme privé, le dupliquer en Tunisie et l’exporter à moyen terme dans d’autres pays.
Toutes ces propositions ont pour objectif de former avant tout des Citoyens qui s’identifient à leur pays, à forger et à consolider leur identité, et à garantir leur employabilité afin que l’éducation reprenne son statut d’ascenseur social, longtemps envié par tous les pays de notre région. Une telle réforme est lourde d’enjeux mais elle en vaut la chandelle.
Investir dans l’éducation et l’enseignement supérieur de qualité est le meilleur investissement pour assurer l’avenir de nos enfants et pour immuniser la société contre le terrorisme. La vraie souveraineté de la Tunisie passe inéluctablement par son système éducatif.
Naoufel Ben Rayana