La conjoncture économique internationale se caractérise au premier trimestre de 2024 par le ralentissement de l’inflation dans le monde qui a baissé de 5% l’année dernière à 3% environ aux USA et en Europe. Cette baisse est appréciable pour les produits alimentaires (blé en particulier) ce qui est favorable pour la Tunisie. Cependant, les prix restent élevés pour le pétrole qui pèse lourdement sur nos importations. La croissance économique est faible en Europe, notre principal client, ce qui ralentit les exportations textiles notamment. Une reprise de la croissance de l’activité est enregistrée aux USA grâce aux dépenses élevées de l’Etat américain par les aides apportées aux entreprises (pour les attirer de Chine) et aux particuliers (après COVID). Cela permettra de relancer l’économie mondiale dont bénéficiera la Tunisie.
La Chine connaît des problèmes de ralentissement de la croissance économique par suite du protectionnisme imposé par les pays occidentaux et aux problèmes de surendettement interne. Le modèle de développement est en cours de révision pour s’orienter plus vers les secteurs nouveaux (énergie renouvelable solaire et éolienne, technologies de l’information, voitures électriques), ce qui réduira les prix de ces produits de haute technologie que la Tunisie doit importer pour accélérer son développement durable. Les pays qui nous entourent connaissent une période favorable grâce aux prix du pétrole-gaz élevés pour la Libye et l’Algérie (supérieur à 80 $/baril depuis 2022 et qui est prévu de durer à ce niveau encore pour quelques années) au désavantage de la Tunisie. L’Egypte et la Turquie connaissent des problèmes d’inflation élevée (plus de 30% par an) accompagnée par une large dépréciation de leur monnaie (Il faut maintenant 50 livres égyptiennes pour 1 $ contre 30 l’année dernière et 15 seulement il y a deux ans). Le Maroc s’est bien tiré financièrement grâce aux exportations de phosphate mais son prix est revenu cette année à 150 $/tonne après avoir atteint 400 $ ces dernières années sans que la Tunisie n’en bénéficie faute de production suffisante (cette dernière a baissé de 8 millions de tonnes avant 2011 à 3,5 millions de tonnes en moyenne par an).
L’activité économique en Tunisie : une faible croissance
La production nationale (PIB) en 2023 n’a augmenté que de 0,4% par rapport à 2022 suite à la baisse de la production agricole (-11%) liée aux conditions climatiques. Mais la production d’autres secteurs a aussi reculé : le pétrole (-7%), les phosphates (-10%) ainsi que les secteurs qui leurs sont liés (chimie, raffinage). Le phénomène le plus inattendu est le recul du secteur de la construction (- 4%) et des matériaux associés (-7%) et qui ne trouve pas d’explication à part la faiblesse de l’investissement puisque le taux d’investissement a baissé en Tunisie à 16% du PIB, alors qu’il était en moyenne de 25% et bien plus dans certains pays émergents (le taux d’investissement moyen mondial est de 27% du PIB et celui des pays émergents est de 34%). Dans certains secteurs, comme le transport public ou le phosphate et le pétrole, l’investissement ne suffit même pas pour remplacer les équipements désuets.
A l’opposé, les secteurs qui ont enregistré une croissance positive sont les services et les secteurs liés à l’exportation malgré la faible performance de l’économie européenne, principal client de la Tunisie : Le tourisme (11%) et le transport qui l’accompagne, les industries mécaniques et électriques (7%), les industries textiles et diverses. Pour 2024, les prévisions de la loi des finances sont basées sur une croissance du PIB de 2,1% comparable aux prévisions des institutions internationales pour le PIB tunisien (1,9%). Ce taux faible reflète d’abord une stagnation de la croissance dans les pays développés, nos clients, par suite des mesures de stabilisation prises pour maîtriser l’inflation. Il traduit ensuite le manque d’investissement dans le pays. Les résultats de la croissance du PIB du 1T2024 ne sont pas encore publiés par l’INS mais les données sur le commerce extérieur publiées montrent que deux secteurs réalisent de bonnes performances : d’abord le secteur agroalimentaire grâce au doublement des exportations d’huile d’olive (de 664 l’année dernière à 1324 millions de dinars en deux mois) après l’amélioration du prix international.
Ensuite, le secteur des industries mécaniques et électriques qui a réalisé 4,3% de croissance des exportations par rapport à l’année dernière. En revanche, le secteur textile-habillement, qui a connu une relance au premier semestre de 2023, vit une stagnation (-7% en deux mois) avec la limitation de la demande européenne. Enfin, le secteur des phosphates et dérivés continue son recul (-26%) en partie lié à la baisse des prix mondiaux. Du point de vue des importations au cours des deux premiers mois de 2024, une baisse est enregistrée au niveau des matières premières liée au ralentissement de l’activité industrielle, le textile notamment et aussi la chimie.
Cependant, une augmentation des importations est constatée au niveau des biens d’équipement et des biens de consommation montrant un certain dynamisme du secteur commercial qui se prépare à une reprise d’activité. Globalement, le déficit commercial s’est amélioré malgré le déficit énergétique croissant.
En effet, hors pétrole et gaz, la balance commerciale a été excédentaire en deux mois (janvier et février) de 2024 et s’est établi à +38 MD grâce à l’huile d’olive. Mais le déficit énergétique a été de 1 822 MD en deux mois donnant un déficit commercial total de 1 784 MD. Il est clair que le principal problème de la Tunisie réside dans la baisse de la production de pétrole et de gaz de plus de la moitié, et qui n’a pas été remplacée par l’énergie renouvelable solaire ou éolienne pour faire face à l’augmentation de la consommation d’énergie aggravée par les choix énergivores (transport privé, industries lourdes comme les cimenteries, prix subventionnés pour les gros consommateurs).
Globalement, étant donnée la baisse enregistrée au niveau de la consommation d’électricité, notamment celle de haute et moyenne tension par l’industrie, et le recul des importations des matières premières, la production industrielle a vraisemblablement régressé au cours de ce premier trimestre. Cependant, une amélioration de l’activité agricole a été observée par suite des meilleures conditions climatiques. Le tourisme est en légère amélioration correspondant aux entrées touristiques enregistrées. Le secteur parallèle continue dans son activité alimentée par la masse plus élevée des billets et monnaie en circulation (21,7 milliards TND contre 18,9 en avril 2023, soit 2,8 milliards de dinars de plus en une année). Enfin, le secteur de l'administration connaît des contraintes imposées aux dépenses publiques par l’affectation des ressources budgétaires en priorité au remboursement de la dette publique extérieure et intérieure.
Sur l’ensemble, les indicateurs disponibles du 1T2024 suggèrent que l’amélioration du secteur agricole est presque annulée par le recul de l’industrie, donnant un résultat préliminaire de croissance du PIB relativement faible.
Au total, la croissance du PIB du premier trimestre se situerait entre 0,5% et 1% par rapport au même trimestre de l’année dernière, soit un taux de croissance en très légère amélioration par rapport à la croissance de 0,4% réalisée en 2023, mais plus faible que le taux de 2% prévu pour 2024.
L’inflation : un ralentissement du rythme d’augmentation des prix
Le taux de l’inflation est de 7.5% en février et mars 2024 par rapport au même mois de l’année dernière. Pour le reste de l’année et sur la base de l’historique baissier de 2021 (avant la crise d’Ukraine), le taux d’inflation continuerait au même niveau de 7,5% pour quelques mois puis baisserait vers 7% environ en fin d’année. Ce qui donnerait un taux d’inflation moyen pour l’année 2024 de 7,3% contre 9,3% en 2023.
La composante importée de l’inflation reste non négligeable compte tenu des pressions sur le taux de change liées au renforcement attendu du $ par suite du maintien du taux directeur US à 5.25% et de l’inflation importée liée à l’augmentation de certains prix internationaux (pétrole, métaux, sucre) bien que d’autres prix aient baissé (céréales).
La composante locale de l’inflation est liée à la rareté de certains produits et à la multiplication des intermédiaires. Le ralentissement observé de l’inflation devrait être favorable à la stabilité du dinar et au maintien du pouvoir d’achat. Les paiements extérieurs : une réduction du déficit extérieur et un dinar stable La limitation du déficit commercial réalisée en 2023, expliquée par la baisse des prix mondiaux par rapport à 2022 et l’amélioration de l’activité touristique ont réduit le déficit extérieur courant à moins de 4 % du PIB soit un ratio de moitié de la moyenne de la période 2011-2022 (8% du PIB).
Le déficit courant exprime les besoins en devises pour combler l’écart entre les recettes et les dépenses courantes liées aux biens services et revenus. Lorsque ce déficit est maîtrisé, les emprunts extérieurs restent nécessaires pour rembourser les échéances de la dette extérieure passée. Ce qui a été le cas en 2023 puisque le remboursement a été fait à temps. Cette situation favorable des paiements extérieurs continue au 1T 2024 grâce à la maîtrise du déficit commercial, comme indiqué ci-haut, et au maintien des recettes provenant du tourisme et des travailleurs à l’étranger. En plus, la disponibilité d’un stock de réserves en devises, qui s’établit à $7,5 milliards au 8 avril 2024 soit 106 jours d’importations, a permis de faire face aux engagements extérieurs du pays et de défendre la stabilité du taux de change du dinar (la dépréciation du dinar n’a été que de 2% par rapport au $ et de 1% par rapport à l’euro depuis un an).
Le budget de l’Etat : un recours direct à la BCT pour combler les besoins budgétaires
Le déficit budgétaire qui exprime le besoin de financement du budget destiné à combler la différence entre les dépenses publiques et les recettes propres est prévu à 10,6 milliards de dinars auquel il faudra ajouter le remboursement du principal 17,9 milliards de dinars (8,1 intérieurs et 9,8 extérieurs). Ce montant, soit 28,5 milliards de dinars serait financé, selon la Loi des finances de 2024, par des emprunts intérieurs de 11,7 milliards de dinars et des emprunts extérieurs pour l’équivalent de 16,4 milliards de dinars, le reste (0,4 milliards de dinars) provenant de la trésorerie. Au premier trimestre 2024, devant l’impossibilité de mobiliser ces emprunts extérieurs élevés, l’Etat a fait un recours d’emprunt direct à la BCT pour 7 milliards de dinars. La moitié environ du montant qui a été débloquée n’a pas entraîné une création monétaire qui dépasse les besoins de l’économie, car cela a été tempéré par la baisse des réserves en devises, puisque la BCT fournit à l’Etat des devises pour rembourser la dette extérieure et non des dinars, donc peu d’effet sur la création monétaire nette.
En conclusion, le premier trimestre de 2024 se caractérise par une faible croissance de la production qui est défavorable à la création d’emplois pour manque d’investissement aussi bien privé que public.
Cependant, l’inflation ralentit et le déficit extérieur est allégé permettant de défendre la stabilité du dinar. Enfin, les besoins du budget de l’Etat ont été bouclés par un recours direct d’emprunt auprès de la BCT, qui n’a pas été directement créateur de monnaie locale car ces montants ont été prélevés sur le stock de réserves en devises pour rembourser la dette extérieure de l’Etat.
Pour le reste de l’année 2024, la poursuite de la politique de suivi des importations, la mobilisation de financements extérieurs ou d’investissements directs étrangers pour un montant comparable à celui des années passées, et la stabilité des prix internationaux, permettraient à la Tunisie de faire face à tous ses engagements commerciaux et financiers, moyennant une légère baisse acceptable des réserves de change.
Cela présente l’avantage d’éviter le rééchelonnement de la dette extérieure pour que le pays reste crédible, comme il l’a toujours été, en honorant ses dettes à temps. Cela est important pour une économie ouverte sur l’extérieur et qui aspire à un niveau de croissance du PIB et de développement économique et social plus élevé.
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