La Société Tunisienne de Banque (STB), a organisé ce mardi 30 octobre 2018, une rencontre dans le cadre d'une série d'événements, à l'occasion du 60ème anniversaire de la doyenne des banques de la place, avec comme thème principal, l'inclusion du secteur informel et ses perspectives de réussite.
Plusieurs panels étaient programmés lors de cette conférence ; le premier a vu la participation du gouverneur de la banque centrale, Marouane El Abassi, Ahmed Karam, président de l’APTBEF, Bouali Mbarki, Secrétaire Général Adjoint de l'UGTT, et de Samir Saied, DG de la STB, qui a pris la parole pour le mot d'introduction de ce panel inaugural, dédié à la réglementation de change. Saied a commencé par un bref rappel de l'historique de la STB, son apport macroéconomique depuis l'indépendance, et les difficultés qui l'ont amené à adopter son plan de restructuration. Aujourd'hui la banque est à mi-chemin de sa stratégie qui « commence à porter ses fruits », avec un PNB qui croit au rythme de 17% en moyenne depuis 2016. La banque travaille aujourd'hui pour poursuivre sa digitalisation, introduire l'intelligence artificielle, etc. et souhaite apporter sa contribution à la question qui préoccupe bon nombre de tunisiens, à savoir l'inclusion de l'économie parallèle dans le circuit formel.
Ahmed Karam, président de l'Association Professionnelle Tunisienne des Banques et Etablissements Financiers est intervenu par la suite, pour rappeler le poids du secteur informel en Tunisie, égalisant selon certains experts, près de 50% du PIB. C'est dire que l'inclusion de ce secteur de l'économie constituerait une manne qui oublierait le PIB, réduirait de moitié certains ratios comme le déficit budgétaire ou courant, et transformerait en surplus la crise de liquidité actuelle. Le phénomène concerne un grand nombre de pays dans le monde, et plusieurs d’entre eux ont choisi d’adopter une nouvelle approche pour l’appréhender, à l’instar par exemple du Sénégal, qui a carrément créé un ministère dédié à l’économie parallèle. Dans cette perspective, les banques ont un rôle majeur à jouer, à l'image de la STB au lendemain de sa création, lorsque toute l'économie tunisienne était informelle, a fait remarquer Karam, qui identifie quatre axes principaux pour réussir l'inclusion de informel. Ahmed Karam évoque d'abord la nécessité d'encourager davantage la microfinance, pour en faire un allié majeur des banques, surtout à la vue d'un certain engouement de la part des bailleurs de fonds internationaux, ce qui pose la problématique du risque de change, auquel il faudra apporter une solution radicale, via une réglementation de change plus favorable. En second lieu, il faudra selon Ahmed Karam, travailler sur l'apport de la technologie, ouvrir l'accès au financement aux plus défavorisés via l'apport des Fintech, et instaurer un programme national pour démocratiser la culture financière.
C’était par la suite au tour du gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), Marouane El Abassi d’intervenir, avec une présentation sur l’état des lieux de ce qu’il appelle l’économie souterraine, contestant les chiffres de certaines sources qui parlent de 54% du PIB. Qui plus est une grande partie de ce secteur « est déjà comptabilisée dans le PIB ». El Abassi est revenu sur le dernier classement de la Tunisie par le Global Illicit Trade Environment Index, qui accorde à notre pays une note de 56/100. Le gouverneur de la BCT reprend également la mesure de l’INS, qui parle de son coté de « 28% du PIB et de 8% totalement intraçable », estimant à 4000 MD la somme des billets et monnaies en circulation en dehors du système bancaire, dont à peu près la moitié est détenue dans les pays voisins, Algérie et Libye. Il a également évoqué le phénomène de thésaurisation, qui a débuté bien avant 2011, plus exactement en 2005. Face à ces problématiques, la solution de « decashing », à titre d’exemple, bute sur le renchérissement des services bancaires. Une récente étude, menée sur près de 7000 ménages, a également montré une relative faiblesse du recours au système bancaire en Tunisie, puisque seuls 9% sont des clients actifs de façon régulière, avec « une perception globalement mauvaise auprès du public ».
La BCT prône ainsi un plan d’action qui tournera principalement autour de la facilitation du decashing, ou la réduction de l’utilisation du cash, à travers l’abaissement des coûts, la digitalisation qui fait actuellement l’objet d’une étude avec Ernst&Young et la Banque Mondiale. Le gouverneur dit attendre également beaucoup de la mise en place de l’amnistie de change, qui pourrait ramener d’importants fonds dans le circuit économique, « pouvant aller de 500 millions à 1 milliard de dinars ». Des efforts sont parallèlement menés auprès des Banques Centrales d’Algérie et de Libye, pour récupérer une partie des fonds en dinars qu’elles détiennent.
De son côté, l’ancien Directeur Général de la politique monétaire auprès de la BCT, Mohamed Salah Souilem a lui aussi souligné la difficulté de livrer des statistiques précises quant au poids de l’informel, qui en plus va de pair aujourd’hui avec le terrorisme. Souilem a néanmoins souligné la hausse des BMC (billets de banque en circulation) rapporté au PIB ces dernières années, pour atteindre 10 à 12% contre une moyenne de 4% dans les pays développés, mais toujours raisonnable en comparaison avec d’autres pays émergents. Pour Souilem, l’économie parallèle n’est pas une fatalité en soi, s’agissant d’un phénomène universel. Il constitue toutefois un manque à gagner important, tant pour l’Etat en termes de recettes fiscales, qu’en points de pourcentage dans la croissance du PIB. Med Salah Souilem identifie trois axes importants à traiter, à commencer par des efforts supplémentaires de la part des banques pour attirer les tunisiens non bancarisés, limiter l’utilisation du cash via les efforts en matière de decashing : des dispositions dans ce sens sont d’ailleurs prévues par la loi de finances 2019. Il faudra enfin encourager l’épargne dans un contexte marqué par l’inflation galopante et devant les taux d’intérêt réels peu attractifs pour les tunisiens. Pour Souilem, il est également fondamental de casser le cycle d’anticipation de la baisse du dinar pour assécher au maximum le marché parallèle de devises.
L’expert comptable Walid Ben Salah a, quant à lui, mis l’accent sur la nécessité de distinguer les activités illicites des microentrepreneurs qui cherchent un minimum de revenus via une activité de subsistance. L’expert comptable recommande de regarder l’équation avantages/Coûts, qui explique le recours de certains agents économiques au marché parallèle. Il s’agira concrètement d’alléger la pression fiscale, améliorer l’accès au financement, et assurer la couverture sociale. Les réglementations en vigueurs sont très compliquées selon Ben Salah, voir caduques, a-t-il ajouté, en référence à la réglementation de change. D’un autre coté, Walid Ben Salah a insisté sur l’importance de la promotion de la RSE, pour profiter de la proximité et des canaux dont disposent les grandes sociétés pour attirer les gens tentés par le travail au noir.
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