Au 31/08/2015, l’indice synthétique du marché alternatif affiche une perte de 27% depuis le début de l’année. C’est une contre performance d’une grande ampleur et peut être l’une des plus importantes depuis son lancement en 2007. Rappelons que le marché alternatif a été lancé à l’époque pour proposer des solutions alternatives de financement aux PME déjà existantes ou en cours de constitution.
Le premier candidat au marché alternatif fut la société SOPAT et l’opération connut une très faible demande puisqu’elle fut difficilement clôturée et très faiblement souscrite (1,05x). Une année après l’introduction, le cours avait subi une sévère correction pour perdre jusqu’à 36,5% de sa valeur. La deuxième introduction sur le marché alternatif (SERVICOM) a également eu un accueil très tiède (1,3x souscrite) avec une très faible demande qui ne concernait de surcroît que 195 souscripteurs. Le cours est resté également inchangé pendant plus de deux ans avant de connaître une envolée haussière à partir de l’année 2011.
Les débuts timides du marché alternatif n’ont pas dissuadé les intermédiaires en bourse de proposer de nouveaux candidats et notamment un grand candidat en l’occurrence la société Carthage Cement pour une levée de capitaux dans un stade dit d' « early stage » c'est-à-dire un projet en phase de démarrage. Dans un contexte de marché euphorique au cours de l’année 2010, cette opération connut en revanche un succès et fut aussi bien correctement souscrite que réussie lors de la phase post OPV puisque le cours prit 20% en quelques séances de cotation.
Mais ce n’est qu’en 2013 que le marché alternatif s’est vraiment emballé avec plus de six nouvelles introductions dans un contexte de resserrement de crédit très favorable aux opérations boursières. Cet emballement a été très coûteux puisque les sociétés introduites se sont avérées en général très fragiles et avec des business models pas très convaincants de surcroît dans des secteurs très difficiles.
La correction des cours des valeurs nouvellement introduites du marché alternatif a commencé l’année même de leurs introductions avec plusieurs valeurs qui ont même décroché à leurs premières cotations. Cette correction s’est poursuivie en 2014 et s’est même accélérée en 2015 pour quasiment tous les titres du marché alternatif comme en témoigne le tableau suivant.
Comme on peut le constater, les baisses sont extrêmement prononcées avec un record de baisse pour MIP (-69%) qui survient après un autre très mauvais exercice de 2014 (-50%). Au total depuis son introduction en bourse, le titre a perdu 85% de sa valeur ce qui est une première pour à peine deux ans depuis l’introduction. L’autre grand perdant, compte tenu de sa grande capitalisation est la société Carthage Cement qui est repassée largement en dessous de sa valeur d’introduction (-25%) et qui traite désormais à son plus bas historique à 1,4 DT. Les fondamentaux ont été largement fragilisés par le retard pris dans l’achèvement de le cimenterie et du surcoût qui en a découlé et par une gestion désormais étatique qui n’a pas réellement permis de décoller dans son activité.
Plus généralement, les facteurs qui expliquent les déboires du marché alternatif sont les suivants :
- Les candidats à ce marché (hormis Carthage Cement) sont des PME, le plus souvent, familiales et gérées par une seule personne clé ce qui implique donc presque systématiquement une mauvaise gouvernance qui résulte en de très mauvais choix stratégiques (internationalisation mal préparée, diversification risquée, croissance mal gérée…).
- Ces PME sont le plus souvent sous capitalisées, opèrent dans des secteurs très concurrentiels et ont une concentration de leurs revenus sur un nombre limité de clients (les centrales d’achat, les institutions publiques, la grande distribution…) ou encore quand il s’agit de revenus à l’export de marchés très peu diversifiés (souvent c’est la Libye).
- La détérioration de la conjoncture macro-économique (baisse des commandes, de la consommation et de l’investissement…) a exacerbé les difficultés de ces sociétés par nature très fragiles et vulnérables.
- Une très grande majorité des candidats sont venus sur le marché avec des prévisions très optimistes plutôt irréalistes voire même dans quelques cas fantaisistes. Les Business Plans proposés à la communauté financière ont été totalement déconnectés de la réalité ce qui a conduit à des écarts de réalisation de très grande amplitude surtout au niveau des résultats. Comme ces prévisions ont servi à la valorisation de ces sociétés, il va sans dire que les valeurs proposées au marché étaient pour la plupart exagérément élevées.
- La fonction de listing sponsor n’a pas pu jouer son rôle d’assistance et de coaching à ces sociétés et surtout n’a pas pu contribuer à faciliter l’accès des analystes financiers à l’information financière. Le niveau de transparence est ainsi resté très en deçà du minimum requis ce qui a créé une grande désaffection pour ces titres. Rappelons pour l’histoire que le premier candidat au marché alternatif (qui a depuis migré vers la Cote) a été épinglé par son Commissaires aux comptes qui a révélé des faits délictueux ayant affecté les comptes pour une valeur substantielle de 17 MD.
- La faiblesse de la demande institutionnelle (qui existe également sur la cote de bourse) qui n’a pas pu jouer son rôle d’accompagnateur de ce type de sociétés qui avait besoin d’investisseurs stables à moyen et long terme. Au contraire, dans beaucoup d’OPV, la condition implicite de marché réservé à des institutionnels n’a pas été du tout respecté puisqu’on a relevé des opérations souscrites par 10000 investisseurs et plus donc par une importante population de petits porteurs. A la décharge des investisseurs institutionnels, la question qui se pose, le manque d’attractivité des sociétés introduites ne serait pas elle la cause de cette désaffection ?
- A l’origine le marché alternatif devait être exclusivement un marché de financement des entreprises et donc les introductions devaient se faire par voie de levée de capitaux en titres de capital. Très vite, avec la pression croissante des candidats à l’introduction, plusieurs opérations ont intégré une partie voire même la totalité sous forme de cession de titres ce qui a fortement déplu à beaucoup d’investisseurs très suspicieux vis-à-vis du « cash out ».
Le marché alternatif s’est ainsi trouvé entaché de quasiment tous les maux qui caractérisent la PME tunisienne (opacité, fragilité, défiance…). Avec l’incapacité avérée de communiquer avec le marché financier, la crise de confiance n’a fait que s’exacerber pour aboutir à la contre performance boursière enregistrée à ce jour. Le marché alternatif qui fêtera son dixième anniversaire dans quelques mois était à l’origine un projet séduisant mais qui a vite dérapé car ses membres n’ont pas su se conformer au niveau minimum des pré-requis pour une présence sur un marché organisé. Les initiateurs du projet n’ont pas assez étudié la problématique du financement de la PME ni assez capitalisé sur l’expérience des sociétés de capital risque pour tirer des enseignements sur les précautions à prendre avec ce type de sociétés. Ce n’est nullement un hasard si la BFPME (banque spécialisée dans le financement de la PME) créée presque à la même période connaît elle même des déboires dans ce segment avec des pertes annuelles relativement importantes.
Dans un marché de capitaux dont la liquidité s’est nettement contractée depuis le 14 Janvier 2011, le marché alternatif a connu une vague d’introductions sans précédent pendant cette période et surtout pendant l’année 2013. Avec le temps, on se rend compte que c’était plus une aubaine pour des émetteurs en mal de capitaux que pour les épargnants soucieux de diversifier leurs placements. La destruction de valeur est importante sur un plan fondamental, la casse est importante sur un plan boursier et tout cela nécessite une sérieuse remise en question de l’organisation et du suivi des entreprises introduites sur ce marché.
L’avenir de ce marché serait vraisemblablement de devenir un segment très spécialisé, en synergie avec l’industrie du capital risque, destiné essentiellement à des valeurs technologiques en quête de capitaux de développement. A l’opposé, le maintien de la stratégie actuelle ne ferait au mieux du marché alternatif qu’un marché d’entreprises en difficultés.