ELEMENTS D’UN PLAN POUR RELANCER L’INVESTISSEMENT
Les différents gouvernements qui se sont succédés à la tête du pays depuis au moins deux décennies, ont assisté quasiment inertes à l’euthanasie de l’investissement et la dégénérescence de l’industrie tunisiens. Face au déficit d’investissement qui s’est aggravé en ce début d’année 2015, le nouveau gouvernement serait bien inspiré de faire siennes les propositions contenus dans cette chronique pour éviter de compromettre l’avenir du pays.
La Tunisie est en train d’assister, impassible, à la mort lente de son investissement. Telle est la vérité crue qui ressort des chiffres publiés cette semaine. Bien avant déjà, l’exploitation fouillée de la base de données du FMI objet de notre chronique de la semaine dernière, révèle que notre pays a depuis longtemps, fait le choix de privilégier le présent (la consommation) au détriment de son avenir (l’investissement). Le taux d’investissement càd la part de la production nationale de richesses qui est allouée au renouvellement des équipements productifs et la création de nouvelles entreprises, n’a guère cessé de dégénérer : de plus du 30% au début des années 1980’ (34,4% en 1984), ce ratio va s’abimer autour de 18,5% cette année. Un déficit d’investissement qui frise le cauchemar au vu des statistiques publiées cette semaine par l’APII. L’investissement global, toutes activités confondues, s’est littéralement effondré en ce début d’année 2015 (voir détail en page 3). Les projets d’investissement déclarés à l’agence s’établissent même à un niveau inférieur à celui d’avant le déclenchement de la crise économique en 2008. De fait, il n’est nullement exagéré de dire que la Tunisie a quasiment arrêté d’investir depuis la fin des années 2000’. Une évolution qui rappelle étrangement celle qu’a connue le pays au début des années 1980’ et qui a abouti au «Changement politique» de novembre 1987.
Inutile d’aller chercher plus loin les causes de la déchéance et du déclassement de l’industrie tunisienne dont la contribution à la richesse nationale produite en une année est passée de 31,5% en 2008 à 26,6% en 2014. Tout comme il est inutile de disserter longuement sur les causes de l’exacerbation du chômage, particulièrement le chômage des jeunes, la dégradation des infrastructures et de la qualité des services publics (dont l’école), l’enflure de l’économie souterraine ou secteur informel et l’engouement du Tunisien pour le jihad et le brigandage commercial. En bref, notre pays a depuis longtemps, fait le choix, bien souvent explicite, de sacrifier son avenir. Elle a fait le choix de renoncer à une vision à long terme de son avenir et de privilégier les politiques économiques faites de temporisation, de déni des réalités et autres demi-mesures.
L’autre constat qui s’impose : aucun des gouvernements qui se sont succédés à la tête du pays depuis les années 1980’ n’a pris à bras-le-corps le sujet de la dégénérescence de l’investissement en Tunisie. Il est à cet égard symptomatique de relever que dans les innombrables « mesures urgentes » que le nouveau gouvernement a annoncé pour ses cent premiers jours, aucune n’a porté sur un véritable plan concret et praticable pour aider les entreprises à investir. Les ministres, le Premier comme les seconds, ont beau se démener et user d’effets d’annonces à propos d’hypothétiques afflux de capitaux étrangers, de réforme du code de l’investissement, etc. Rien n’y fait. Les intentions d’investissement des entreprises tunisiennes, des porteurs de projets et des étrangers restent velléitaires et largement insuffisantes pour relever le défi de la croissance et du chômage en Tunisie.
En fait, les Politiques n’ont guère réussi à mettre un terme à l’euthanasie de l’investissement en Tunisie parce que leur logiciel économique est tronqué. Pour eux, il existe deux et seulement deux facteurs de production : le capital et le travail. S’ils étaient à une bonne école d’économie, ils sauraient qu’il y en a un troisième qui est déterminant, c’est la confiance. Sans elle, les meilleurs « code d’investissement » et les plus généreuses «exonérations fiscales » n’auront aucun effet sur l’investissement. La classe politique toutes tendances confondues, n’a guère réalisé que la priorité des priorités politiques consiste à restaurer la confiance. Pour cela, il serait tout à fait indiqué :
Primo. Que l’Etat commence par gérer les affaires publiques de manière responsable et conforme à l’intérêt bien compris et à long terme du pays. Or l’Etat donne l’exemple d’une entreprise mal gérée qui privilégie la dépense de consommation (recrutement de fonctionnaires, hausses salariales, etc.) au détriment de l’investissement public ; une entreprise incapable de résister aux appétits des syndicats et d’imposer sa prépotence aux multiples lobbys et autres groupes de pression dont le comportement frise la défiance et parfois, la sédition ; une entreprise incapable de se remettre en question qui s’adonne aux solutions de facilité, aux compromis boiteux et à l’endettement. En bref, une entreprise vieillotte aux méthodes surannées qui subit davantage qu’elle n’impulse.
Secundo. Que l’Etat respecte sa parole vis-à-vis des bailleurs de fonds étrangers et qu’il s’attelle sans délai à initier pour de bon les réformes de structures qu’il s’est engagé à conduire en contrepartie des prêts obtenus auprès d’eux. Les atermoiements et les reports continus de la mise en oeuvre desdites réformes constituent un accroc sérieux à la confiance des investisseurs étrangers. Qu’il respecte et assume ses décisions et qu’il cesse de pratiquer les arts du rétropédalage, des renoncements aux mesures déjà prises légalement, des retraites en rase campagne, des annonces prématurées et autres manoeuvres de diversion qui n’ont d’autres visées que de fournir du grain à moudre à des médias davantage concernés par le buzz qu’aux problèmes économiques qui assaillent le pays. Certains revirements sont heureux, d’autres dommageables. Mais, qu’ils soient justifiés ou non, leur accumulation donne le sentiment d’un bateau ivre mu par l’improvisation d’un capitaine qui ne sait où il va.
Tertio. Que la Tunisie se dote d’un process de décision politique adapté aux réalités et aux urgences de l’économie et de la finance. Le spectacle qu’offre actuellement la démocratie tunisienne n’est guère de nature à favoriser l’investissement qui n’est finalement qu’une prise de risque sur l’avenir. Un gouvernement « empêché » de décider et de dicter une politique économique claire et cohérente et qui fonctionne comme une machine à pondre des projets de textes de lois à peine capables de faire consensus autour de ses propres membres. Un exécutif qui propose à un pouvoir législatif qui dispose. Des représentants du peuple pointilleux, procéduriers à tire-larigot et davantage soucieux d’asseoir leur caporalisme sur l’exécutif que de réalisme face aux urgences économiques. Des députés manifestement insuffisamment sensibilisés de la gravité des problèmes économiques qui entraînent le pays dans le gouffre mais qui ne rechignent guère à approuver les textes qui creusent plus profondément le trou de son endettement extérieur (voir détail en page 6). Des députés qui ne risquent guère d’approuver notre proposition d’une loi de refondation économique qui donnerait au gouvernement toute latitude (et l’entière responsabilité) pour engager par des « ordonnances » les réformes économiques et financières dont le pays a un besoin urgent. A force de jouer à « Plus démocrate que moi tu meurs », la classe politique tunisienne prend le risque de conduire la démocratie tunisienne au suicide.
Quarto. Que les partis politiques si actifs et remuants pendant les périodes électorales, cessent d’offrir le spectacle affligeant de maisons closes abritant des joutes entre des politiques et des boulimiques du pouvoir sans conviction et, dans bien des cas, sans science de la gestion des affaires autres que les siennes propres. Des opportunistes pour lesquels l’intérêt bien compris du pays s’apparente au manteau qu’on récupère des vestiaires à la sortie. Que les partis politiques cessent d’offrir de simples « tribuniciens » traduisant leurs ambitions quand ce n’est pas l’aigreur et l’envie, plutôt que les aspirations des citoyens. Qu’ils constituent enfin une force de proposition concrète capable de présenter au pays les mesures clés qu’ils proposent pour relancer l’investissement.
Quinto. Que le gouvernement réalise enfin que la décision d’investir n’est finalement prise par un investisseur ou une entreprise que si la somme dépensée pour un investissement va rapporter de l’argent et ce, en fonction du produit fabriqué (ou service à fournir), de l’appétence des consommateurs, de la conjoncture et enfin de la confiance qu’inspire le climat des affaires. Les exonérations fiscales et autres incitations ne sont qu’une cerise sur le gâteau. Elles ne peuvent amener à boire un âne qui répugne à boire. En clair, cela signifie que le gouvernement doit renoncer à cette arlésienne qu’est devenue la refonte du code de l’investissement et édicter une Charte de l’investissement qui, 1) proclamerait solennellement le principe de la liberté d’entreprendre et d’investir, 2) énoncerait l’engagement de la Tunisie à inscrire lors de la plus prochaine révision constitutionnelle, son adhésion à l’Accord de protection des investissements étrangers (APIE), 3) édicterait simplement et clairement les dispositions fiscales & financières qui s’appliqueraient dorénavant à toutes les entreprises installées sur le sol tunisien. Des dispositions à inscrire dans la loi de finances complémentaire 2015 telles que : l’abaissement de l’impôt sur les sociétés à 20% ou à défaut, l’autorisation pour les entreprises qui investissent d’amortir pendant un an de manière exceptionnelle 40% du montant des équipements nouveaux acquis, l’exonération totale des droits & taxes douanières des biens d’équipement importés, la reconduction pour les trois prochaines années de la disposition de la loi de finances 2013 exonérant les nouvelles entreprises de l’impôt sur les bénéfices, etc.
Sexto. Que le gouvernement traduise concrètement sa volonté de simplification des procédures administratives pour les investisseurs et les promoteurs d’entreprises en rétablissant véritablement le « Guichet unique » dont la Tunisie fut pionnière. Concrètement, cela consiste à fusionner les trois agences APII, FIPA et APIA et à confier à l’agence, devenue unique, toutes les prérogatives requises aux fins d’éviter aux candidats investisseurs le parcours du combattant auxquels il doivent consentir aujourd’hui pour obtenir les multiples autorisations requises. L’agence ainsi ré-enginerée aurait entre autres missions, de réduire à 1 journée les formalités juridiques de création d’une entreprise, de développer un système d’information et d’analyse du monde des affaires, de promouvoir autour de grappes d’entreprises appartenant à une filière industrielle et/ou technologique, des pôles industriels nouveaux capables de s’insérer dans la chaîne de valeur des « productions intermédiaires » dont l’Europe a un si grand besoin. En effet, face à la montée de la concurrence asiatique, les pays européens sont en train de se spécialiser dans la conception et l’assemblage des produits industriels et de réaliser les « productions intermédiaires » dans les pays voisins à moindre coût. Un filon inépuisable que la Tunisie se doit de consolider.
Septimo. Dans le sillage de cette idée, il serait bien pour améliorer l’attractivité et la compétitivité du territoire national face à la concurrence des pays de l’Europe de l’Est, d’ancrer le dinar à l’euro. Il serait bien de mettre fin à la dépréciation rampante du dinar qui n’est qu’une forme d’appauvrissement du pays qui, de surcroît, dispense les entreprises tunisiennes exportatrices de faire l’effort d’investir pour améliorer leur compétitivité.
Octo. Que le gouvernement s’attelle en partenariat avec la Banque centrale de Tunisie, à susciter l’émergence de mécanismes et circuits de financement nouveaux de l’investissement. A défaut de mettre de place dans des délais courts, la grande banque d’investissement (GBI) dont la création a été préconisée dans notre chronique du 23 mars 2015 (voir Ecoweek n°10), notre proposition consiste à amener la BCT à mieux utiliser son bilan. Plutôt que d’acheter des Bons du Trésor contribuant ainsi à fournir de l’aisance financière à un Etat dispendieux et notoirement improductif, l’Institut d’émission serait bien inspiré d’acheter des quantités substantielles d’obligations émises par les banques afin que ces dernières puissent investir dans de nombreux projets utiles à l’économie. Toutes les banques tunisiennes qui accepteraient de financer des projets d’investissement nouveaux pourraient bénéficier de ce mécanisme.
Nono. Que le gouvernement agisse pour réorienter l’épargne des Tunisiens vers le financement de l’investissement productif. Les Tunisiens préfèrent investir dans l’immobilier, le foncier et depuis peu sur le marché boursier parce que ces placements échappent plus ou moins à l’impôt. Si le marché de l’immobilier a flambé au cours des dix dernières années, c’est parce que la pierre échappe de facto à l’impôt. Dans une période trouble où les liquidités et le crédit bancaire sont abondants et l’inflation menaçante, la pierre apparaît comme un refuge. Elle met en confiance le Tunisien quant à l’évolution de ses revenus et de son patrimoine. La confiance est bien le moteur et le ressort de tout investissement.
Par : Hachemi Alaya (Ecoweek TEMA)