Le projet de loi relatif au nouveau statut de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) était au centre d'un symposium, organisé par l'ordre des ingénieurs tunisiens et l'association des tunisiens diplômés des universités allemandes (ATDUA). Après le mot de bienvenue des organisateurs, une conférence intitulée "Le statut de la BCT, indépendance et réformes attendues" à été animée par Ali Chebbi, professeur et ancien membre du conseil d'administration de la Banque Centrale de Tunisie. L'exposé a débuté par un bref survol du contexte actuel de la Tunisie, essentiellement marqué par la transition institutionnelle, et c’est dans cet ordre que s’inscrit le projet qui s'insère aussi dans la continuité des réformes successives depuis 1958, explique Ali Chebbi.
Le projet de nouveau statut vise à conférer à la Banque Centrale de Tunisie un champ d'intervention plus élargi, sa mission jusque là étant limitée à la maîtrise de l'inflation, or l'inflation en Tunisie n'est pas seulement d'origine monétaire, elle est aussi anticipative et importée indique l'expert. Le rôle de la BCT dans la stabilité financière devrait être explicité a-t-il ajouté. Le nouveau statut affirmera par ailleurs de manière explicite le rôle de la BCT dans la gestion des réserves de changes, ce qui sous les statuts de 2006 se faisait plutôt par "coutume".
C’est face à la fragilité institutionnelle actuelle que l’idée de l’indépendance de la Banque Centrale a percé comme solution miracle explique l’expert, il y a toutefois une autre position qui prône la non-indépendance, celle notamment qui craint le pouvoir discrétionnaire large et les conflits d’intérêt entre institutions.
Le projet de loi prévoit 100 articles dont l’architecture globale consacre le tiers à la question de l’indépendance, le reste portant sur les procédures techniques et internes. De par son nouveau statut, le cas échéant, la Banque Centrale de Tunisie sera redevable au parlement et non plus au Président de la République qui jusqu’à aujourd’hui en nomme le gouverneur. L’étendue des compétences de la BCT sera élargie par la création en son sein d’une instance de supervision prudentielle macroéconomique, d’une structure régissant le régime de change et d’une instance de marché financier. En gros, la BCT sera indépendante de jure et de facto, aussi bien par l’objet que par l’instrument explique, Ali Chebbi.
Le projet est certes bien intentionné selon Ali Chebbi, il offre néanmoins plus de compétences que de responsabilisation à la Banque Centrale, il faudrait selon lui, relativiser l'étendue de l'indépendance prônée et institutionnaliser la coordination avec les autres institutions pour assurer une politique économique nationale cohérente et dépolitisée. Ali Chebbi recommande par ailleurs, d'isoler l'instance de supervision prudentielle macroéconomique de sorte que la Banque Centrale soit elle même objet de sa supervision, puisqu'elle fait partie de l'ensemble, et développer un mécanisme de contrôle à priori et instaurer l’annonce préalable des objectifs. L’expert souhaiterait également voir s’améliorer les conditions de gouvernance, en élargissant le conseil d’administration et en étayant les critères de nomination de ses membres.
Intervenant de son coté, l’universitaire Maher Kasssab a rappelé que la question de l’indépendance des banques centrales datait de la crise de 1929, mais a surtout émergé après la crise de l’hyperinflation en Allemagne au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Elle répond à la volonté de préserver la politique monétaire des caprices du monde politique et des abus motivés par des raisons électorales. Toutefois le modèle d'indépendance n’a jamais été le même dans tous les pays, le modèle allemand apparait certes comme idéal, il est toutefois surtout lié à une histoire. Kassab a rappelé que plusieurs pays ayant fait le choix de l’indépendance de leur banque centrale ne l’ont par la suite pas appliqué pour des raisons essentiellement politiques se traduisant souvent au niveau des nominations des gouverneurs. Il conviendrait selon Maher Kassab de réfléchir à la nuance entre indépendance et autonomie, et d’adapter le statut de la Banque Centrale à la réalité économique du pays.
Le professeur Hatem Salah considère de son coté le projet comme une avancée institutionnelle malgré l’existence de faiblesses. Il note un alignement sur les standards internationaux en ce qui concerne la mission de la BCT. C’est aussi une avancée au niveau de la résolution des faillites des banques puisque la BCT pourrait en vertu de son nouveau statut intervenir directement, même s’il aurait été plus judicieux de mettre en place un fonds de garantie au lieu de la garantie de l’Etat, souligne l’expert. Hatem Salah s’est également félicité du droit de veto explicite conféré à la Banque Centrale, notamment en ce qui concerne l’endettement de l’Etat sur lequel elle pourrait émettre ses réserves. L’expert reproche toutefois "le pouvoir" qu’il estime démesuré accordé au gouverneur de la Banque Centrale pour le projet de loi, ainsi que certaines ambiguïtés comme celui des articles 8 et 22 qui peuvent prêter à confusion puisqu’ils abordent différemment la question de la gestion de change.
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