Dans son rapport fraîchement publié en mai 2017, International Crisis Group tourne tous les voyants dans le rouge avec option sonnette d’alarme activée pour la Tunisie. Le rapport intitulé « La transition bloquée : corruption et régionalisme en Tunisie » arbore diverses thématiques des plus délicates à l’instar de la corruption, le régionalisme, les tensions sociales instrumentalisées, le consensus politique précaire, l’exclusion, ainsi que le clientélisme.
Dans le chapitre les limites du consensus politique, nous pouvons lire un passage sur la polarisation du monde des affaires en Tunisie. Le rapport y jette toute la lumière sur l’intensification de la lutte entre les hommes et femmes d’affaires ayant une influence occulte sur la place politique ainsi qu’au sein des « mouvements contestataires » et qui n’a de cesse de croître. Une lutte qui s’aligne à une courbe ascendante en dépit de la détérioration des indicateurs macroéconomiques. ICG met également l’accent sur le fait que le consensus politique entre les islamistes et les anti-islamistes n’a pas pour autant arrangé les choses ni mis un terme à ladite lutte. Aussi, est-il question dans le même chapitre d’une élite économique établie et d’une nouvelle classe d’entrepreneurs. « Depuis la chute du régime autoritaire, ces opérateurs économiques tentent de mettre la main sur les « articulations de l’administration ». Il s’agit pour eux de s’assurer à la fois la collaboration des fonctionnaires qui occupent les postes-clés permettant de contrôler l’accès au crédit et au marché, et le soutien des personnalités politiques qui parrainent ces agents administratifs.» Dans ce passage, sont donc expliquées les différentes raisons se cachant derrière les tensions politiques et sociales ainsi que les clivages idéologiques qui ont construit un prétexte à ces mouvements.
Dans le même contexte, le rapport décline un chapitre sous le titre de : Dépolitiser l’économie pour protéger l’Etat. Dans ce texte fort instructif, nous pouvons lire que, dans le but d’assurer la protection des pouvoirs publics des réseaux clientélistes, il est indispensable de déverrouiller la compétition économique à tous les Tunisiens. L’objectif étant de rendre la compétition économique plus équitable, en parallèle à une mise en œuvre de mesures de lutte contre la corruption. ICG signifie dans les lignes de son rapport à ce propos que : «Ceci contribuerait à libérer l’Etat des « courtiers politiques et de l’influence des législations arbitraires et des intérêts parasites ». Egalement, dans ce chapitre, il est expliqué comment depuis les élections de 2014, l’ascension au pouvoir de Nidaa Tounes et de son président d’alors, Béji Caïd Essebsi, a fait éclater « l’unité de circonstances de l’élite économique établie, réalisée lors de sa lutte contre la troïka.» Aussi, est-il question d’un « renvoi d’ascenseur » entre responsables politiques et hommes et femmes d’affaires ayant contribué à leur nomination à des postes de pouvoir et ce, en débloquant des projets économiques.
Le rapport d’ICG a indiqué, également que les réseaux clientélistes concernés sont, dans une majeure partie, sous contrôle des membres de l’élite économique établie. Un contrôle qui s’exerce en dépit du renouvellement fréquent des éléments-clés œuvrant au sein des institutions publiques, causé par l’instabilité gouvernementale. « Les rares entrepreneurs de l’intérieur qui y ont conquis des positions centrales après la chute de Ben Ali, travaillent pour leur propre compte, renforçant parfois de manière agressive la clientélisation des institutions publiques tout en fermant la porte aux autres hommes et femmes d’affaires émergents. », peut-on lire dans ledit rapport.
En ce qui concerne la lutte contre la corruption qui se dit, selon ICG une nécessité, il devient aussi urgent de « réduire l’influence des réseaux clientélistes et limiter la corruption ». Or, et selon la même source, afin de mettre en œuvre cette lutte, il est indispensable de disposer d’une véritable volonté politique que l’ICG décrit comme absente dans son rapport. Et pourtant, le gouvernement considère ce « combat comme une priorité ». D’ailleurs, même l’Instance nationale de lutte contre la corruption peine à joindre les deux bouts en vue de mener à bien son action en raison du manque du soutien politique et des moyens matériels.
Dans le même sillage, le rapport rapporte le témoignage d’un haut fonctionnaire, plutôt alarmant où il est question de transfert d’argent de beaucoup de chefs d’entreprises vers l’étranger. « Le pays va faire faillite. Ensuite, ces derniers reviendront en position de force et se proposeront de sauver la Tunisie, en augmentant les salaires, créant des emplois dans l’intérieur du pays, etc. Ils diront, « laissez-nous travailler et ne nous parlez plus de transparence et de concurrence. Le modèle ne doit pas changer. Ne touchez pas à nos avantages ». A ce moment, ils verrouilleront les secteurs de l’économie qu’il reste à verrouiller, épaulés par une nouvelle dictature ou une démocratie de façade. Actuellement, ils font exprès de laisser pourrir la situation économique. Pour eux, il faut que dans l’inconscient collectif plus personne ne pense à changer ce système, et ce, sur plusieurs générations.»
L’ICG propose dans les lignes de son rapport l’établissement d’un dialogue économique national entre Le gouvernement, la présidence de la République et les principales forces politiques, syndicales et associatives avec les opérateurs économiques les plus influents du pays représentant environ 300 personnes. « Bien que le risque existe de légitimer des individus dont certains sont dans l’illégalité ou sous le coup de poursuites pénales, une initiative de cet ordre devient hélas indispensable vu la paralysie des réformes, corolaire peu avouable de l’influence grandissante de ces « hommes de l’ombre », peut-on lire à propos du dialogue économique.
En conclusion à ce rapport riche en constats pour le moins alarmants à l’égard de la Tunisie actuelle et future, l’ICG explique: « qu’il est de plus en plus nécessaire et urgent de priver de ses fondements la lutte entre l’élite économique établie et les entrepreneurs de la classe émergente via le dialogue et les réformes, faute de quoi les risques d’instabilité s’aggraveront.»
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