L’année 2017 a débuté, comme les précédentes, sur des incertitudes majeures et elle se termine aujourd’hui avec son lot de craintes, mais aussi quelques notes d’espoir. Nous tenterons de revenir sur les principaux faits ayant marqué l’année sur les plans économique et boursier en Tunisie. Ceci dit, un premier constat s’impose d’emblée: comparée à 2016, l’année qui s’achève aura au moins marqué une reprise à la hausse de la croissance, avec un taux certes faible de 1,9% à fin novembre, après la baisse enregistrée entre 2016 (1%) et 2015 (1,1%), soutenue par le redressement du secteur touristique (hausse de 16,3% des recettes au 20 décembre et 6,7 millions d’entrées, soit +23%), et la reprise quoique modérée du secteur minier qui reste toutefois toujours confronté aux revendications sociales notamment dans la région de Metlaoui.
IL va sans dire qu’à la fin de l’année, les sujets qui inquiètent, ou du moins interpellent, tant les experts que les citoyens sont toujours les mêmes : la hausse des prix (forte accélération de l’inflation en novembre pour atteindre 6,3% en glissement annuel), l’endettement public (niveau historique du service de la dette à 6.349 MD au terme des 10 premiers mois de 2017, contre 3.990 MD à fin octobre 2016), le déficit record de la balance commerciale (14,4 milliards de dinars au terme des 11 premiers mois de 2017, soit 14,7% du PIB, contre 11.6 milliards de dinars et 12,9% une année auparavant.), dont la conséquence la plus communément soulignée est le glissement du dinar tunisien : la parité avec l’euro a fini par atteindre la barre tant redoutée des 3 DT. Notons qu’à deux reprises en 2017, les avoirs en devises sont tombés à un niveau critique de 90 jours d’importation. La question des déficits des caisses sociales, dont le cumul dépasse les 2 milliards de dinars, a aussi beaucoup retenu l’attention cette année ; le gouvernement a proposé un programme de réforme avec la révision des barèmes de calcul des pensions dans le secteur public et privé, et l'augmentation de l'âge de départ à la retraite.
Par ailleurs, en cette fin d’année, bon nombre d’observateurs s’interrogent sur les retombées de la conférence Tunisia 2020 : il faut dire qu’on est bien loin des chiffres faramineux annoncés par le gouvernement, et le portefeuille de 34 milliards de dinars mobilisé par les « amis de la Tunisie » au cours de l’évènement, dont 15 milliards de dinars, sous forme de conventions et accords signés et 19 milliards de dinars de promesses. A fin novembre 2017, les flux d’investissements étrangers ont atteint 2 023,3 MD, en hausse de 11% vs novembre 2016, répartis à raison de 1 911,9 MD en investissements directs étrangers (IDE) et de 111,4 MD en portefeuille.
L’autre point déterminant est l’omniprésence d’une économie informelle, même si les spécialistes divergents sur son poids réel, mais qui représente certainement une proportion grave de l’activité économique dans le pays, jusqu’à 40% selon certaines estimations et même plus de 53% du PIB selon d’autres. D’ailleurs, ce sujet est largement récurrent dans les assemblées générales des sociétés industrielles cotées à la Bourse de Tunis, confrontées à la contrefaçon et aux importations sauvages qui ravissent d’importantes parts de marché. Sur ce plan, l’arrestation de plusieurs personnalités souvent citées comme maillons forts de la contrebande et de la corruption, a été largement saluée. Mais, force est de constater que les actions des autorités suscitent aujourd’hui beaucoup moins d’engouement, tant le processus semble lent et apporte peu de résultats concrets ; c’est du moins la perception d’une bonne partie des opérateurs tunisiens, surtout après l’adoption de la loi très controversée sur la réconciliation administrative, présentée par le gouvernement comme une urgence économique et ressentie par beaucoup comme un grand pas en arrière.
Parmi les évènements majeurs de l’année figure le lancement officiel en décembre de la courbe des taux, une réforme très attendue et parfois qualifiée de tardive, perçue comme une étape fondamentale dans la modernisation du marché financier. Elle permettra de mettre en place un modèle dynamique pour la valorisation des instruments financiers, notamment sur le marché obligataire, avec une meilleure appréciation des risques en particulier sur les maturités longues, et de mettre de l’ordre dans les tarifications du système bancaire en mettant fin à l’utilisation du TMM. Ce projet, soutenu par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) ouvrira la voie vers l’apparition d’un marché de produits dérivés en Tunisie, a affirmé Chedly Ayari , gouverneur de la BCT.
Encore un fait marquant en 2017, et pour le moins totalement inattendu, la Tunisie s’est retrouvée blacklistée par les ministres des finances européens, parmi 19 territoires et juridictions en tant que paradis fiscal. Cette décision est d’autant plus surprenante qu’aucun pays de l’UE n’a été cité dans cette liste noire, y compris des pays traditionnellement considérés comme tels, comme le Luxembourg et le Liechtenstein entre autres ; et même les pays dont la réputation n’est plus a prouver comme les iles Caïmans on encore l’ile de Man, épinglée dans l’affaire des Panama papers, ne figurent pas dans la liste. L’ambassadeur de l’UE en Tunisie, Patrice Bergamini, a promis que « tout sera mis en œuvre pour retirer la Tunisie» dès janvier 2018.
De leur coté, les agences de notations n’ont pas été plus tendres avec la Tunisie, Si Fitch Ratings a confirmé la note « B+ » de la Tunisie avec perspective stable, elle a néanmoins souligné l’ampleur de la dette publique comme un des principaux handicaps de l’économie tunisienne. L’agence a en outre classé notre pays au 110éme rang mondial sur 201 pays, en termes de risque opérationnel, mettant en avant surtout les risques d’ordres social, logistique et sécuritaire, malgré bon nombre d’avantages que présente le pays. Mood’y, de son coté, a procédé en août, à la dégradation de la note souveraine de la Tunisie, de Ba3 à B1 en maintenant les perspectives négatives. L’agence américaine regarde surtout l’emballement des déficits budgétaire et courant, et les retards de la mise en place des réformes convenues avec le FMI. Ce dernier, justement, vient d'achever avec les autorités tunisiennes les consultations de 2017, lors de sa dernière mission du 30 novembre au 13 décembre, ouvrant la voie à l'achèvement de la deuxième revue de l’accord conclu au titre du mécanisme élargi de crédit. L’institution dit toutefois attendre des mesures décisives du gouvernement, notamment une stratégie globale de réforme de la fonction publique et des actions dans le sens de l’abaissement du subventionnement de l’énergie.
Le dernier point dans ce volet économique est relatif à l’adoption de la loi de finances 2018, qui fixe le budget global de l’Etat à 35.851.000.000 dinars contre 32.200.000.000 dinars dans la loi de finances de 2017 et 34.330.000.000 dans la loi de finances complémentaire de 2017, soit une augmentation respective de 11,3% et 4,4%. Le budget de l’Etat est ainsi financé par des recettes fiscales et non fiscales à raison de 68,6% contre 69,4% en 2017. Le budget de l’Etat est réservé aux dépenses de fonctionnement à concurrence de 61% (21 941 MD) et aux dépenses de développement pour 14% (5 121 MD, contre 17% en 2017). Le service de la dette s’élève à 5 185 MD (contre 3 610 MD en 2017) en principal et 2 787 MD (contre 2 215 MDT en 2017) en intérêts.
Du coté de la Bourse de Tunis, le bilan de l'année est, à première vue, bien plus positif, si l'on se limite à la performance du Tunindex, qui a finalement clôturé l'année avec un gain de 14,45%, culminant même à +16,28% début décembre, à son plus haut niveau historique de 6382,25 points. Le Tunindex20, indicateur de mesure du rendement des vingt plus grandes capitalisations boursières les plus liquides sur le marché, affiche une performance annuelle plus importante de 21,55% pour finir l’année à 2 822,58 points. A la clôture de l’année 2017, la capitalisation boursière du marché a gagné 2 552 MD et enregistré une hausse de 13,22% pour s’établir à 21 852 MD contre 19 300 MD à la fin de l’année 2016.
Cependant, pour beaucoup de spécialistes, ces performances masquent encore les carences évidentes du marché financier : il suffit, en effet, d’y voir de plus près pour en prendre la mesure. Avec seulement deux introductions en 2017, dont une sur le marché alternatif (SANIMED), qui demeure une source de déception pour les opérateurs au vu de l'historique des performances des sociétés admises un peu trop facilement selon les professionnels, avec des valorisations trop élevées pour des BP trop optimistes. Sur le marché principal, seule la société Ateliers du Meuble Intérieurs a intégré la cote en 2017, et a reçu un accueil assez tiède. La demande exprimée pour l’OPF a représenté 1,6 fois l’offre de titres et attiré 688 investisseurs.
Des analystes ont, par ailleurs, relativisé l'importance de la performance du Tunindex, jugée plutôt technique et portée par un nombre limité de valeurs. D'ailleurs, la balance des variations affiche à la fin de l'année 42 valeurs en hausses contre 39 baisses. D’autre part, sur les 81 sociétés cotées, les dix valeurs les plus traitées ont accaparé 69,7% du volume annuel. Egalement critiquées, les approximations du flottant des sociétés cotées qui affaiblissent la pertinence de l'indice.
Au niveau de la participation étrangère, la Bourse de Tunis affiche en fin d’année, un flux net négatif de 154 MD, principalement imputable à la sortie de la Société Financière Internationale (bras du secteur privé de la Banque Mondiale) du capital d’Amen Bank, et à la cession par banque italienne Intesa des 6% qu’elle détenait dans le capital de la BIAT. Sur l'année 2017, les capitaux étrangers ont représenté 10% sur le marché principal des titres de capital et 13% sur le marché des blocs. Sur l'ensemble de la cote (compte tenu du marché des titres de créances), la part nette des investisseurs étrangers s'est située à 11%.
Lire également : La bourse en 2017 ou jusqu’à quand l’arbre continuera à cacher la forêt ?
Pour en revenir aux sociétés cotées, c'est du coté de Telnet Holding qu'on trouve la meilleure performance, +72,27%, suivie de Magasin Général et One Tech Holding, avec respectivement +60,79 et +60%. Poulina GH affiche, pour sa part, une hausse de 53,78% sur l'année, ASSAD termine avec +50%, SOTUVER gagne 53,78%. Le BIAT a progressé de 40,39%, Attijari Bank de 40,20% et SAH de 38,86%. Quant à la SFBT, sa performance annuelle s'est limitée à 17,63%.
Du côté des grands perdants cette année, c'est SERVICOM qui chapeaute la liste, le titre ayant perdu 83,54% de sa valeur en 2017. Cellcom a reculé de 68,31%, UADH de 47,06% et AETECH de 45,56%. Le titre TUNISAIR finit l’année à 0,430 DT l’action, en baisse de 29,51%, touchant au passage un plus bas historique à 0,420 DT.
Pour conclure, l’année qui s’achève laissera beaucoup d’incertitudes, tant pour les boursicoteurs que pour l’ensemble des agents économiques. L’année 2018 met la Tunisie devant des défis fondamentaux, à commencer par l’inflation qui pourrait persister comme l’a souligné la Banque Centrale dans sa dernière note de conjoncture. Les pressions sur le taux de change risquent d’être exacerbées par la baisse des avoirs en devises et le déficit de la balance commerciale. Les grandes sources d’inquiétude seront liées à l’endettement public qui représente déjà 70% du PIB. Il faudra pourtant espérer que la relance de la croissance s’accélère dans le sillage de 2017 et les atouts ne manquent pas malgré les difficultés. La loi de finances 2018, a souvent été décriée comme un calvaire pour le contribuable, et critiquée pour l’accentuation de la pression fiscale sur les entreprises. A à ce prix, les tunisiens dans leur ensemble sont en droit d’attendre des résultats à la hauteur de leurs espérances.
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