Des rumeurs circulent depuis quelques temps sur le changement imminent du gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), Chedly Ayari, en poste depuis 2012 et dont le mandat devrait arriver à échéance en 2018. La rumeur n’est pas nouvelle et le Chef de l’Etat, au fait de la proximité et de l’amitié ancienne de Ayari avec des membres de l’ancienne Troika au pouvoir, a respecté jusque-là les échéances et a fait la part des choses, connaissant depuis des décennies la valeur académique et l’expérience nationale et internationale de l’actuel gouverneur.
Toutefois, le retour des rumeurs quant au changement à la tête de l’Institut d’émission n’est pas étranger à la gestion de la « crise » du dinar, amplifiée par la sortie médiatique de l’ancienne ministre des finances, Lamia Zribi. La communication de la BCT sur la tourmente du Dinar a été, certes, médiocre et tardive, puisque même le FMI s’est expliqué sur le sujet avant même la BCT. Néanmoins, cela ne doit en aucun cas être un alibi pour que toutes sortes d’« experts en tout », de politiciens, de chroniqueurs, etc. s’expriment sur la politique monétaire du pays. D’ailleurs, même l’ancienne ministre des finances n’avait pas à s’exprimer sur la politique monétaire puisque son périmètre d’action était surtout celui de la politique budgétaire. Cela a été le cas aussi mercredi soir sur un plateau télé où une conseillère à la présidence a exprimé « la nécessité d’un changement », à son avis, à la tête de la Banque Centrale ! Même si le ton est différent, cela n’est pas sans rappeler le passage de témoin de Mustapha Kamel Nabli à Chedly Ayari en juillet 2012 et la polémique stérile qui a eu lieu à l’ANC où des députés au niveau très discutable s’étaient permis de juger les deux gouverneurs, économistes reconnus à la double échelle nationale et internationale.
Ce que tout le monde doit savoir, c’est que le poste de gouverneur de la banque centrale n’est pas à la portée de n’importe qui ! On a entendu ici et là les noms de hauts fonctionnaires, de députés, etc. pressentis ou candidats à cette haute charge. La vérité est qu’il n’y a dans le pays que quatre ou cinq personnalités de haut calibre, en mesure d’assurer cette mission ! Et c’est pareil dans la plupart des pays du monde.
Le poste de gouverneur a été assuré en Tunisie depuis la création de la Banque Centrale par des personnalités à l’expérience consommée, à commencer par Hédi Nouira. Le poste exige une grande technicité économique doublée d’un sens politique aigu et d’une grande expérience, qualités qui ne sont pas à la portée du premier venu ! On peut être un très bon ministre sans pouvoir être un bon gouverneur de la Banque centrale ! C’est que le poste est beaucoup plus exigeant et même souvent plus sensible.
Même parmi les grands économistes, rares sont ceux qui sont capables d’assurer le job car, en économie, il y’a des spécialités et un économiste en développement ou en économie de travail, pourrait ne pas être bien outillé en matière d’économie monétaire.
Chedly Ayari a, peut-être, fait son temps avec son lot d’erreurs comme dans toute œuvre humaine mais personne ne pourrait contester son statut de grand économiste, qui a formé des générations de décideurs politiques et économiques dans le pays. Durant ces cinq dernières années, il est souvent monté au créneau pour colmater les brèches des politiques économiques des différents gouvernements. Car, il ne faudrait pas l’oublier : le problème de la Tunisie réside, depuis quelques années, dans sa politique économique mise en place par les différents gouvernements, plutôt que par sa politique monétaire ! En outre, et même pour ce qui est du Dinar, sa chute n’est que le reflet de la perte de compétitivité de l’économie tunisienne.
Par ailleurs, et en ce qui concerne le profil type du gouverneur, il serait économiste avec une forte spécialisation monétaire (et/ou banquier avec un passage par la Banque Centrale), expérimenté, indépendant et ayant un sens politique développé. D’ailleurs, un coup d’œil sur le profil des gouverneurs des banques centrales à travers le monde sur Wikipedia serait utile pour comprendre combien il faudrait être brillant pour occuper cette fonction très sensible. Les biographies de ces gouverneurs indiquent souvent le passage par des universités et des écoles prestigieuses (Harvard, Yale, Columbia, MIT, Polytechnique, ENA, etc.) et une carrière d’économiste et/ou de banquier, parfois avec un passage par des organismes financiers internationaux comme le FMI.
Au niveau de l’expérience, une grande partie des gouverneurs des banques centrales sont des seniors (moyenne de plus de 60 ans) à l’exception notable en Occident du gouverneur de la Banque centrale allemande (Bundesbank), Jens Weidmann, âgé de « seulement » 49 ans et qui est à la tête de la Buba depuis 2011 quand il était âgé de 43 ans ! Il faut dire qu’il avait compensé son « jeune âge » par son expérience internationale au FMI, par sa participation à la résolution de la crise financière de 2008, par sa proximité avec Angela Merkel et par son mentoring par son prédécesseur Axel Weber.
De tels parcours montrent qu’un bon gouverneur de banque centrale est une denrée rare dans presque tous les pays. Les dirigeants tunisiens, et en premier lieu le chef de l’Etat et le chef du gouvernement, seraient bien avisés de consulter, avant de décider une nomination à la tête de la BCT. Les bons candidats ne courent pas les rues !
Naoufel Ben Rayana
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