Tunisie : Un rebond raté après une récession historique

A l'heure où l'économie mondiale marque son rebond le plus prononcé en 80 ans, après une récession historique, conséquence du COVID-19, l'économie tunisienne reste empêtrée dans sa spirale infernale qui n'a que trop duré. Et les freins n'ont pas manqué en 2021 : La crise sanitaire et le changement majeur de la donne politique ont rythmé l'actualité économique et la vie quotidienne des tunisiens. Les faiblesses structurelles dont est victime l'économie tunisienne se sont aggravées en 2021, le taux d'investissement s'est affaibli, au plus bas historique à 10,8% vs 25,6% en 2010, les difficultés de financement du budget de l'Etat ont engendré une forte baisse de la part des dépenses d'investissement à seulement 5%. L'instabilité politique persistante s'est chargée de dégrader davantage l'attractivité de l'économie tunisienne. L'investissement étranger affiche au terme des trois premiers trimestres le plus bas niveau enregistré depuis 2010 : 1,2% du PIB

Au dernier trimestre 2021, et malgré une politique monétaire plutôt restrictive, l'inflation a fait son retour, pour le troisième mois consécutif, le taux d'inflation a progressé en novembre, pour atteindre 6,4%. Derrière cette poussée, la révision à la hausse des prix de certains services publics et produits administrés tels que l’essence, le tabac, l’eau, l’électricité, ainsi que les médicaments. Par ailleurs, une légère décélération a été observée au niveau du rythme d’augmentation annuel des prix des produits alimentaires (6,9% contre 7,0%). En 2021, les prix mondiaux des matières premières ont connu une flambée, conjuguée aux pénuries et autres difficultés logistiques, directement liées à la crise sanitaire.

Les cours du pétrole ont été propulsés vers des sommets sur plus de trois ans, un record à plus de 80 dollars pour la référence européenne, le WTI qui s'est rapproché de ses niveaux d'octobre 2018. Les signes de reprise de la demande mondiale, soutenue par l'assouplissement des restrictions et la reprise des trafics aérien et terrestre durant la deuxième moitié de l'année. En face, l'offre reste restreinte : début septembre, l'OPEP+ qui a tenté de rééquilibrer le marché, a approuvé une hausse progressive de la production, avec la mise sur le marché de 400.000 barils supplémentaires tous les mois et ce, jusqu'en septembre 2022. Notons que le budget de l'Etat pour 2021 avait retenu l’hypothèse d'un baril à 45 dollars.

Au niveau du commerce extérieur, durant les onze mois de l’année 2021, les exportations ont enregistré une hausse de 20,4% à 42069,9 millions DT, contre une baisse de 13,4% durant les onze mois de l’année 2020. De même, les importations ont enregistré une hausse de 21,7% à 56723,4 millions DT, contre une baisse de 19,9%, un an plutôt. Compte tenu de ces évolutions, le déficit commercial a atteint à fin novembre 14653,8 millions DT, contre 11666,6 millions DT durant les onze mois de l’année 2020. Le taux de couverture a perdu 0,8 points par rapport à la même période, à 74,2%.

Le creusement du déficit commercial, les faibles performances du secteur du tourisme et le tarissement des ressources d'emprunt extérieures, ont érodé les avoirs en devises de la Tunisie. Au 30 décembre, les réserves en devises représentent 136 jours d'importation, contre 161 jours au début de l'année. Mais c'est surtout le poids du service de la dette qui s'est fait sentir. La dette extérieure de la Tunisie a atteint près de 62 milliards de dinars à la fin du mois d'octobre. Malgré les difficultés pour se ressourcer à l'extérieur, la Tunisie a vu l'ensemble du stock de la dette atteindre 102,2 milliards de dinars, représentant 81,5% du PIB.

Le tourisme a connu une hausse de 6% des recettes à fin novembre, selon les chiffres présentés par la Banque Centrale. Le nombre d'arrivées en Tunisie a augmenté de 14% fin novembre dernier sur une base annuelle, et le nombre de nuitées réservées dans les hôtels a augmenté de 23% au cours de la même période.

L'autre grand pourvoyeur de devises, le phosphate a enregistré des chiffres décevants en 2021. La production de la Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG) en phosphate commercial, a atteint 2,7 millions tonnes, du 1er janvier à octobre 2021, soit 23% de moins que les estimations en début d'année. La production souffre encore de l'arrêt du site de Redeyef, qui engendre un manque à gagner de 400 mille tonnes, ainsi que des mouvements sociaux qui continuent à grever l'activité de l'opérateur national.

La bonne nouvelle vient du côté des transferts des Tunisiens Résidents à l’Etranger (TRE). La diaspora tunisienne a transféré 2,6 milliards de dollars en 2021, calculés sur la base des taux de change dinar/dollar mensuels moyens, soit un plus haut historique.

En 2021, le dinar a continué à se déprécier face au dollar américain de 7% depuis le début de l'année. En revanche, la monnaie nationale est restée stable devant la monnaie européenne une bonne partie de l'année, avant de gagner du terrain au deuxième semestre  pour s'apprécier jusque là de 2% par rapport à l'euro. Depuis le début de l’année 2021, l’Euro s’est affaibli par rapport au dollar américain, passant d’environ 1,23 dollar à son taux de change actuel de 1,13 dollar, ce qui représente une baisse d’environ 9%.Parmi les faits marquants, les dégradations de la note tunisienne par deux des Big three, Fitch Ratings et Moody's, ont conduit la Tunisie à entrer dans le club peu glorieux des pays à risque très élevé, rendant l'accès au financement extérieur plus compliqué, comme en témoigne le blocage d'un nouvel accord avec le FMI, toujours suspendu à la question des réformes. La formation d'un nouveau gouvernement en octobre a été vu comme un message positif par la communauté financière internationale, mais les perspectives de l'évolution de la santé économique du pays sont encore loin d'être encourageantes.

La Tunisie devrait en effet enregistrer le rebond le plus faible dans sa région : Fitch Ratings table sur une croissance de 3,4%, tandis que le FMI la situe à 3%. Le déficit budgétaire de l’État devrait s’établir à près de 10,5 milliards de dinars cette année représentant, l’équivalent de  8,4% du PIB contre 9,5% en 2020 et 3,4% en 2019. La dynamique de croissance restera en somme inférieure à l'avant crise, et demeure un frein à la création d'emploi (le taux de chômage a atteint un niveau tristement inédit à 18,4% à la fin du 3ème trimestre de 2021).

Pour 2022, le budget de l'Etat est prévu à 57291 millions de dinars, en hausse de 3,2%. Le déficit budgétaire est attendu à 9308 millions de dinars selon la ministre des finances Sihem Namsia, soit 6,7% du PIB. Selon la ministre, les ressources d'emprunt seront de l'ordre de 19983 millions de dinars en 2022, dont 12652 millions de dinars d'emprunts extérieurs. La dette publique atteindra 114 142 millions de dinars, soit 82,6% du PIB, contre 85,6% dans la loi de finances complémentaire pour l'année 2021.

Alors que les autorités tentent d'améliorer un tant soit peu la perception de la situation de la Tunisie à l'extérieur, le contexte politique ne manquera pas d'être compliqué. Le début de l'année sera marqué par la consultation populaire sur la nouvelle constitution, décidée par le Président de la République Kais Saied, et largement contestée par une partie des forces politiques.

 

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