La dégradation ce 8 juillet 2021 par l’agence Fitch Ratings de la note de défaut émetteur à long terme en devises de la Tunisie de (B) à (B-) avec une perspective négative, n’est pas, à vrai dire, une surprise ! Elle est en ligne avec la dégradation de la Tunisie en février 2021 par l’agence Moody’s. Ce n’est, en fait, qu’une piqûre de rappel pour les autorités Tunisiennes et qui sonne comme un dernier avertissement avant de basculer le pays dans la catégorie “spéculative”, si rien n’est fait dans les prochaines semaines pour enclencher de vraies réformes validées par le FMI et soutenues par les différents acteurs politiques, économiques et sociaux du pays. Sachant qu’un tel consensus semble trés improbable, vu la fragmentation des pouvoirs et la divergence des positions, une dégradation dans la catégorie spéculative et la perte par la Tunisie de son “Investment grade” se dessinent à court terme.
La voie de sortie expresse de cette impasse est sans doute un accord d’ici-là avec le FMI, sauf que le Fonds, tant diabolisé durant des années par beaucoup d’Hommes politiques et responsables syndicaux Tunisiens, n’est pas pressé d’avaliser la demande Tunisienne, enfonçant le pays dans l’incertitude. Par ignorance ou par positionnement politico-idéologique, ces responsables ont oublié que la Tunisie était membre à part entière du Fonds, comme elle l’est à la Banque Mondiale, à la BAD ou à l’ONU.
La demande Tunisienne, envoyée fin avril et défendue à Washington au mois de mai, a suscité un enthousiasme modéré de la part des responsables de l’institution de Bretton Woods, qui n’ont pas oublié que la Tunisie avait interrompu l’accord précédent au mois de mars 2020 au début de la crise COVID en se contentant d’un prêt COVID de 750 millions $ alors qu’il y avait encore une tranche à encaisser de l’Accord 2016-2020. L’Egypte, qui était dans une position similaire, avait profité des deux types de financement de la part du Fonds.
La nouvelle notation de la Tunisie sanctionne le mal governo du pays depuis une décennie et la fragmentation des pouvoirs qui la rendent “ingouvernable”. Techniquement, la Tunisie aura du mal à atteindre un accord avec le Fonds et la situation ne pourrait être débloquée que par un appui politique des partenaires de la Tunisie, à commencer par les Etats-Unis (qui détiennent 17% des ressources du FMI), le Japon, l’Allemagne, la France, le Royaume Uni, l’Arabie Saoudite, etc. Ces pays comptent plusieurs alliés de la Tunisie, soucieux de sa stabilité et de celle de la région, mais ils ne seraient pas disposés à donner un chèque en blanc qui ne serait qu’une fuite en avant et qu’un ajournement de la crise.
Le communiqué de Fitch Ratings, qui s’appuie sur des données factuelles, a évoqué pour la première fois, et comme prélable à un accord avec le FMI, un possible recours au Club de Paris, groupe des créanciers publics, qui pourrait pousser la Tunisie à restructurer sa dette extérieure et à recourir à son rééchelonnement. Depuis l’indépendance en 1956, le pays n’a jamais demandé le rééchelonnement de ses dettes et a toujours honoré sa signature. Un défaut de paiement serait un réel affront pour la Tunisie et ses responsables, dont beaucoup semblent sous-estimer la symbolique d’un tel déclassement!
Un éventuel recours au Club de Paris n’est pas sans rappeler la “Commission Financière” créée en 1869, présidée par le Général Kheireddinne Pacha, et qui avait pour mission de restructurer la dette Tunisienne envers ses principaux créanciers à l’époque: la France, l’Italie et le Royaume Uni qui étaient membres de ladite Commission de triste mémoire. La suite est connue: quelques années après, la Tunisie de Sadok Bey a signé la convention du Bardo le 12 mai 1881, synonyme de la perte de sa souveraineté. La question du rééchelonnement des dettes a hanté les esprits des dirigeants de la Tunisie depuis l’indépendance, qui en ont fait une question d’honneur…et de souveraineté.
A notre avis, le spectre d’un recours au Club de Paris est réel mais peu probable à ce stade si les responsables du pays mettent pour un moment leurs querelles de côté et font preuve de plus de responsabilité, de sérieux et de doigté dans l’implémentaion des réformes et dans la gestion des affaires économiques du pays. Certes, la dette extérieure Tunisienne, a dépassé les 100% du PIB, mais il n’en demeure pas moins qu’elle reste soutenable car elle est majoritairement concessionnelle et multilatérale, donc à long terme et à des taux réduits (Voir la vidéo sur Tustex ). La marge de manoeuvre des responsables Tunisiens se rétrécit de jour en jour, mais il reste toujours l’espoir de faire prévaloir l’interêt national et de faire le nécéssaire sur les plans politique, diplomatique, économique et social pour atteindre un accord avec le FMI, à même de sortir le pays de la position peu enviable dans laquelle il s’est retrouvé.
Les bailleurs de fonds, les pays amis… et surtout les Tunisiens ne pardonneraient pas aux responsables de dilapider la dernière chance de sauvetage du pays!
Naoufel Ben Rayana
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