A l’image de toutes les assemblées des banques publiques, les Assemblée Générales Ordinaire et Extraordinaire de la Banque de l’Habitat, tenues le 18 février, se sont passées dans une atmosphère très tendue. Ahmed Rjiba et ses accompagnateurs ont par moment eu du mal à contenir les interventions de certains actionnaires qui, à tort ou à raison, ont fait entendre leur voix. Certains actionnaires ont dénoncé la tenue d’une AGE avant l’AGO, et les contestations sont allées jusqu’à des accusations de falsification.
Il est vrai que la situation de la BH, telle que traduite par les chiffres, laisse à désirer, l’exercice 2013 sur lequel portait l’AGO s’est soldé par un déficit de 159,3 MD, ramené à 220,1 MD après modifications comptables. La tenue de l’AGO avec plusieurs mois de retard n’a pas arrangé les choses. L’exercice 2013 laisse un besoin de recapitalisation de 198,7 MD, vu le niveau des fonds propres à la fin de l’année qui se sont situés à 236,8 MD, et ne permettant pas à la banque de se conformer aux exigences de la Banque Centrale de Tunisie, notamment en ce qui concerne le ratio de solvabilité et les limites de division et de concentration des risques encours. Ce manque sera résorbé par l’augmentation de capital de 90 à 170 MD et l’émission d’un emprunt obligataire ou subordonné, plafonné à 150 MD sur un maximum de trois années. L’AGE a approuvé les modalités de l’augmentation de capital dont une partie sera réalisée par incorporation de réserves à raison d’une action nouvelle pour 3 anciennes portant sur un montant nominal de 30 MD. La deuxième qui interviendra simultanément portera le capital de 120 MD à 170 MD et sera en numéraire à raison de 5 pour 9 au prix d’émission de 11 DT.
Un des moments forts de l’AGO a été, comme à l’accoutumée, la lecture du rapport des commissaires aux comptes, avec pas moins de 14 réserves, dont la non constatation d’une provision au titre de départ à la retraite de 16,5 MD dont 1,9 MD devaient être imputés à l’exercice 2013 et 14,5 MD sur les capitaux propres d’ouverture. Egalement relevée, l’absence d’un rapprochement entre le résultat de l’inventaire physique des immobilisations et les données comptables et le manque d’une comptabilité multidevises. Une autre réserve concerne le décalage de 19,6 MD entre les soldes comptables et les dégagements détaillés consécutifs aux faiblesses au niveau des procédures de rapprochement, les écarts qui en résultent sont dépourvus de toute justification et provisionnés à hauteur de 5,8 MD. Les commissaires aux comptes ont aussi souligné l’indisponibilité d’états financiers récents pour certains clients dont les engagements auprès du système financier dépassent les 5 MD. Les travaux d’audit des CAC ont connu quelques autres difficultés communes au contexte tunisien. Ainsi, 93 avocats des 152 sollicités n’ont pas répondu aux requêtes faites par les commissaires aux comptes pour des demandes de confirmation concernant des affaires liant la BH à ses clients.
Les commissaires aux comptes n’ont pas manqué de rappeler dans leur rapport, que des engagements d’entreprises publiques présentant des difficultés financières et non couvertes par des garanties suffisantes n’ont pas été provisionnés. La banque justifie ce traitement par l’engagement implicite de l’Etat à garantir la stabilité financière de ces entreprises, et le caractère stratégique de leurs activités. A ce sujet, le cas de la SOTACIB est préoccupant, la société connait de graves problèmes depuis 2010. Rappelons que les risques encourus sur le groupe SOTACIB se sont élevés à fin 2012 à 144,2 MD. Une relation représente donc, à elle seule, un dépassement de plus de 100% des Fonds propres nets de la BH. Comme pour la BNA, la forte exposition des banques publiques tunisiennes aux entreprises publiques les pénalisent fortement.
A propos des risques, les impayés sur crédits commerciaux et industriels sont passés de 55,4 MD en 2009 à 107,3 MD en 2011 et 154.6 MD en 2013. Cette aggravation continue e a été derrière l’augmentation du portefeuille contentieux de presque 67,8 MD pour l’année 2013 seulement. Les crédits personnels et Habitat représentent, quant à eux, un niveau de contentieux bien maitrisé. Leurs impayés sont passés respectivement de 17,9 MD et 73,4 MD en 2012 à 18,3 MD et 75,2 MD en 2013, ce qui montre que le particulier est plus rentable et solvable que l’institutionnel en Tunisie. D’après le PDG, la banque cherchera à se diversifier davantage dans les crédits commerciaux et industriels. En voyant le taux d’impayé dans ce créneau, cette stratégie serait contre-productive pour le premier spécialiste du crédit logement du pays, a fait remarquer un analyste à Tustex. Une analyse de la tendance de l’actif classé de la BH sur les 5 dernières années montre que la classe 4 est passée de 276,4 MD en 2009 à 502,2 MD en 2012 et 946,1 MD en 2013. Le contentieux représente 77,7% du total des actifs classés. Le transfert de 180 dossiers pour un engagement de 160 MD en 2013 ainsi que le changement de méthode, dont l’impact est estimé à 107 MD, expliquent, en grande partie, la hausse vertigineuse des actifs classés entre 2012 et 2013, estimée à 355,2 MD (+41%), ce qui porte leur volume total à un niveau record de 1218,1 MD, soit plus de 21% des engagements de la banque. Les provisions et agios réservés représentent 795,3 MD en 2013 contre 576,3 MD en 2012, soit un ratio de couverture de l’ordre de 66%.
Interrogé sur le Business Plan, Ahmed Rjiba n’a pas donné de prévisions chiffrées mais affirme que la banque a bel et bien un plan d’affaires, se contentant d’espérer que le résultat net 2014 sera positif. Rappelons à ce titre que la BH a terminé le premier semestre 2014 avec un bénéfice de 15,839 MD. Les indicateurs d’activité à fin 2014 font état d’un PNB de 244,4 MD, en hausse de 17,7% en glissement annuel. Autre information de taille, la banque ne versera de dividendes qu’à partir de 2016. Le bénéfice attendu de l’exercice 2014 sera mis en réserve pour corriger le ratio de solvabilité. Ce dernier est actuellement de 4,4% contre un minimum exigé de 9% selon l’article 4 de la circulaire BCT N° 91-24.
L’AGO n’a pas évoqué le plan de restructuration de la banque qui prévoit la réduction de la masse salariale de 50% (1). La question est de savoir sous quelle forme sera conduite cette politique d’assainissement?
Il est à noter enfin la présence d’un représentant de la présidence du Gouvernement au sein du conseil d’administration de la Banque, ce qui marque toujours le rôle de l’Etat actionnaire. En conclusion, le full audit entrepris depuis 2013 a, semble-t-il, eu des effets bénéfique pour la banque et offert de la matière à ses auditeurs. Ce full audit recommandé notamment par le FMI a porté sur quatre axes : institutionnel, social, commercial et financier. Il a porté sur la BH et ses trois filiales, la société générale de recouvrement des créances, Modern Leasing et la SIM SICAR et ce par le groupement « Roland Berger Strategy Consultant/FICOM et ORGA Audit ». Le groupe BH est appelé à porter des mesures correctives à son mode de gestion par la refonte de sa politique GRH et de son système d’information qui se caractérisent par un retard manifeste par rapport aux concurrents. Telles sont les principales conclusions de l’audit complet.