Rétrospective économique de l'année 2010 (conjoncture tunisienne et internationale)

Dans un environnement économique international incertain qui laisse entrevoir
de légères améliorations à partir de la deuxième
moitié de l’année, la conjoncture nationale a été
un peu mitigée. L’équilibre général entre croissance,
inflation et création d’emploi, longtemps bien géré
par les décideurs politiques, est désormais mis à rude épreuve
après la transmission quasi-inévitable des effets de la crise économique
touchant les partenaires commerciaux de la Tunisie. La demande fragilisée
de biens et services émanant des pays européens a fait reculer pour
la deuxième année consécutive l’activité manufacturière
locale. Ses facteurs exogènes révèlent que l’économie
tunisienne
qui s’appuie dans sa croissance sur l’évolution
de la demande intérieure et celle des exportations est soumise à
des aléas externes, impliquant, justement des chocs de demande qui pourraient
s’avérer assez rudes en cas de retournement de la conjoncture internationale.
L’inflation continue des produits pétroliers sur le marché
mondial est, désormais, un facteur contraignant, avec lequel il faut composer
pour en atténuer les effets, et limiter sa transmission aux coûts
de production. Les pressions inflationnistes si elles se répercutent sur
le panier du consommateur aura des conséquences néfastes sur la
demande. Les autorités monétaires en sont conscientes, d’où
le relèvement des taux sur l’interbancaire, avec un TMM à
4,9% contre 4,07% en début d’année et un début d’encadrement
des crédits aux particuliers qui gardent, néanmoins, un rythme de
croissance élevé de +15% entre septembre 2009 et 2010, tiré
par les crédits logement (+26%) et les crédits véhicules
(+20%), même si l’évolution de ces crédits semblent
perdre de la vitesse par rapport à 09/08.


La transposition des effets de la crise sur le modèle Tunisien jusqu’ici
bien préservé et peu habitué à vivre de tels chocs,
amène les décideurs à se rendre compte de la difficulté
à atteindre les objectifs de plein emploi avec une croissance économique
inférieur au seuil minimum de 5% fixé dans les précédents
plans de développement. Outre l’environnement international en turbulence,
l’économie tunisienne souffre actuellement de la frilosité
de l’investissement privé qui semble évoluer à deux
vitesses, peinant à prendre le relais de l’Etat dans certains secteurs
et régions. Les bons résultats de la Tunisie en matière de
gestion économique, bien que appréciés à leur juste
valeur par les institutions multilatérales, dont le FMI qui a rendu un
rapport de la visite de sa délégation de 2009, rendent ces mêmes
organismes plus exigeants en ce qui concerne la qualité des finances publiques,
la stabilité des prix et la solidité des systèmes financiers.
Dans de pareilles circonstances, les économies les plus développées
et les plus aguerries ont montré un profil conservateur avec des vagues
de nationalisation touchant les secteurs sinistrés et une rationalisation
budgétaire à toute épreuve, conjuguée à une
politique monétaire prudente avec un desserrement de taux graduel. Face
aux excès engendrés par les comportements irrationnels de sur-consommation
et de sur-endettement
de la part d’agents économiques privés,
l’Etat, dans ces pays touchés, s’est montré ferme et
pragmatique, puisque ces comportements irresponsables ont failli anéantir
des systèmes économiques touts entiers en l’absence d’une
bonne gouvernance. D’après les observateurs les plus avisés
des marchés financiers, le pire qui peut arriver à l’économie
mondiale est une grève qui se termine en émeute en chine, ce pays
qui croît le plus dans le monde, jusqu’à devenir un modèle
de croissance mythique. Allant de la Grèce au Portugal passant par la Bolivie,
l’Irlande et la France, tous les observateurs s’accordent à
dire que le pire qui peut arriver, en ce moment, est une crise économique
qui se transforme en crise sociale.



Pour le cas de la Tunisie, et d’après les estimations publiées
en novembre, la production agrégée aux prix de marché devrait
s’accroitre de 3,7% sur 2010 contre 3,1% un an plus tôt. Les trois
trimestres T1, T2 et T3, ont affiché successivement des taux de croissance
de 3,8%, 3,5% et 3,8%. Cette croissance est due à une meilleure tenue des
secteurs non manufacturiers, +11,5% dont Pétrole et Gaz +19% (+3,5% en
2009), des services marchands +5% dont tourisme +3% ( -0,3% en 2009) et des services
non marchands qui maintiennent une cadence régulière de +4,3%, soutenue
par les administrations publiques. Cela dit, les craintes concernant le secteur
agricole ont trouvé leur justification puisque ledit secteur s’en
est sorti le plus sinistré avec l’effet cyclique de la sécheresse,
qui a résulté en une forte baisse de la production en termes constants
de -8,8% comparée à une hausse de +6% en 2009. Cependant, le faible
poids de ce secteur dans le ¨PIB, soit seulement 8%, a permis de circonscrire,
un tant soit peu, les dégâts au plan national, mais un peu moins
sur le plan régional. L’Etat a décidé de soutenir ce
secteur, qui laisse derrière lui une masse significative de crédits
impayés. Les aides aux petits agriculteurs se sont multipliées pour
assurer la continuité de cette activité vitale; Le rôle de
l’Etat providence, n’est pas, sans effets positifs à court
terme sur les franges les plus démunies de la population, et les secteurs
les plus fragilisés de l’économie, mais cela occasionnera
des rallonges budgétaires, et pourrait déséquilibrer les
finances publiques selon les dogmes de l’économie libérale;
Face aux recommandations répétitives du FMI, qui signale un certain
dérapage budgétaire en 2009, la marge de manœuvre de 0,5% du
PIB serait, semble-t-il, épuisée compte tenu de la tournure des
événements en fin d’année. Le déficit budgétaire
de la Tunisie finira, probablement, à son niveau de l’année
dernière à 3% du PIB. Ce ratio est gérable, tant que l’endettement
public poursuive sa tendance baissière de 43% à 39% du PIB. Par
ailleurs, les mêmes chocs externes ont impacté le déficit
courant qui ressort à fin novembre 2010 à 4,6% du PIB contre 2,8%
en 2009, sous l’effet de la progression des importations, dont le rythme
de croissance est estimé à 20% sur l’année entière,
surpassant celui des exportations (+17%). Sur ce plan, l’évolution
de la parité Euro /Dinar sur 2010, qui ressort presque flat, n’induira
pas d’effets positifs sur le rapport d’échange en termes réels.
Avec l’annonce de l’achèvement graduel de la convertibilité
totale du dinar d’ici 2014, le facteur le plus déterminant pour réussir
cette entreprise sera comment préserver la confiance des agents économiques
étrangers, exportateurs et importateurs, que ce soit de biens et services
ou de capitaux pour leurs besoins, dans les fondamentaux de l’économie
tunisienne, qui jouissent d’une bonne cote. Le taux de couverture des importations
par les exportations a baissé à 73,7% en 2010, et devrait être
rétabli à 74,4% en 2011, ainsi que le déficit courant qui
se résorbera, d’après les projections officielles, à
3,7% du PIB.


Le stimulus budgétaire reste un outil de commande assez vigoureux pour
relancer la demande et entrainer les investissements privés. Il continue
à être utilisé par les autorités tunisiennes malgré
certaines réserves du FMI. Il n’en demeure pas moins, que
c’est mieux que le quantitative easing dont usent les économies les
plus développés. L’effet d’entrainement induit par le
stimulus budgétaire pourrait s’estomper si les agents excédentaires
sur le marché de capitaux se montrent peu efficaces dans la recherche et
la sélection de projets d’investissement rentables; Sur le plan monétaire,
le dernier communiqué de l’année de la Banque Centrale de
Tunisie - BCT -
fait état de la progression de la masse monétaire
(M3) de 10,9% au cours des onze premiers mois de 2010 contre 10,1% un an plus
tôt, alors que les concours à l’économie ont augmenté
de 17,5% contre 9,4%, en relation avec l’accroissement des crédits,
notamment les crédits d’investissement. Un taux de progression des
financements, toutes formes comprises, à deux chiffres qui contraste avec
le rythme de croissance de l’investissement; En effet, ce dernier qui reste
le premier vecteur créateur d’emplois, évoluera, d’après
les estimations de fin novembre 2010, de 8,3% contre 9,3% en 2010. L’année
prochaine, ce même agrégat devrait croitre de 11,3%. En parallèle,
le taux d’épargne a accusé en 2009 une baisse, à 21,5%
du revenu disponible brut contre 22% en 2009. Les dernières mesures décidées
dans le cadre de la loi de finances 2011 devront soutenir le taux d’épargne
pour le porter à 22,5%. La dynamique que créera la mobilisation
de fonds pour doter la nouvelle caisse de dépôts et de consignations,
ainsi que la révision impérative des politiques de placement des
compagnies d’assurances pour être plus présentes sur le marché
financier stimulera l’investissement institutionnel sur le long terme.



La vision des décideurs économiques, même sil elle a souffert
d’une certaine myopie face aux chocs externes, et leurs impacts directs
à terme, reste une vision, politiquement, correcte. Son application nécessite
un suivi minutieux sur le terrain et des gardes fous infaillibles et coercitifs.
Il est à espérer que l’année 2011 qui sera l’année
de clôture du 11éme plan de développement (2007-2011) sera
meilleure que 2010. Le désistement des émiratis pour la plupart
de leurs projets faramineux estimés à 40 milliards de dollars avait
eu un effet sur le volume global d'investissements évalué au départ
à quelque 63 milliards de dollars dont 73% devront être fournis par
l'épargne nationale. A une année du bilan quinquennal, Le taux de
croissance annuel de 6,1%
serait un objectif difficilement atteignable après
l’éclatement de la crise à l’échelle mondiale
et la propagation de ses ondes de choc aux économies en développement.
Le principal défi à relever est de répondre à une
demande d'emploi croissante d'environ 88.000 demandes supplémentaires par
an
. Le 12éme plan de développement (2012-2016) prévoit de
réaliser un taux de croissance de 5,5%, d’améliorer le revenu
par tête d'habitant à 8371,5 dinars en 2014, de créer 415
mille postes d'emploi permettant de couvrir la totalité des demandes additionnelles
d'emploi et la réduction du taux de chômage à 11,6% en 2014,
de développer l'investissement d'une moyenne de 11,2% aux prix courants
pour accroître son volume à 98 321 millions de dinars (MD) au cours
de la période 2010-2014, de renforcer le rythme des exportations d'une
moyenne de 6,6 % aux prix constants, en vue de relever leur contribution à
la croissance à 40,2%, d’accroître les importations d'une moyenne
de 10,4% aux prix courants, d’améliorer le niveau de productivité
tant au niveau global que sectoriel pour atteindre une moyenne de 48,6% et 53,3%
en 2014. Il ne reste qu’à espérer que l’environnement
international soit propice, que cette croissance profite à tout le monde
et que tout le monde se montre plus productif.