Le cabinet indépendant d'analyse financière AlphaMena a publié une étude sur la Gouvernance d’entreprise en Tunisie, d'emblée qualifiée de "poudre aux yeux", soulevant plusieurs questions telles que la faible rémunération des administrateurs, leur rôle marginal dans la prise de décision, ou encore l'indépendance au sein des Conseils d’administration qui n'existe que sur le papier ou comme une disposition réglementaire de façade pour s’aligner avec les règles de gouvernance édictées par les régulateurs.
Au niveau des conseils d'administration, Alphamena relève la tendance des sociétés tunisiennes à opter pour des conseils pléthoriques avec 70% des sociétés couvertes ayant au moins 8 administrateurs se plaçant dans la frange supérieure de la fourchette règlementaire (un minimum de 3 et un maximum de 12 administrateurs). L'étude des données a permis de dégager une corrélation positive entre la capitalisation boursière de la société et la taille de son conseil d’administration. Elle a également révélé que les institutions financières sont celles qui ont des conseils d’administration les plus fournis.
Evoquant l’âge des administrateurs, le cabinet d’étude ironise par la métaphore du vin qui se bonifie avec le temps. Contrairement à l'Europe ou aux Etats Unis, l'âge des administrateurs semble être un tabou en Tunisie puisque cette donnée est rarement communiquée dans les rapports des sociétés étudiées. Sur la base ce qui est communiqué, la moyenne ressort à 65 ans pour les administrateurs (contre une moyenne de 60 ans en Europe), avec un intervalle de 57 à 84 ans dans un pays ou l’âge médian est de 32 ans. Les administrateurs qui siègent depuis plus de 6 ans sont rémunérés en moyenne à hauteur de 11 mille dinars, bien plus que les administrateurs de moins de 6ans, qui touchent en moyenne 9,9 mille dinars. A ce niveau, Alphamena estime qu'il y a encore beaucoup à faire en Tunisie pour ce qui est des élections d'administrateurs qui devraient se tenir annuellement pour respecter les principes de bonne gouvernance.
Au sujet des administrateurs indépendants, Alphamena rappelle que le concept varie en fonction des pays, des secteurs et parfois même des sociétés, et a changé au fil du temps. Le cabinet a énuméré, en collaboration avec son partenariat européen Alphavalue, et après étude de 700 compagnies en Europe et dans la région MENA sur 9 ans, une liste de critères selon lesquels un administrateur n'est pas indépendant, à savoir s'il est ou était directeur dans la même société ou s'il cumule 4 sièges ou plus, où encore s'il est influent dans un secteur donné et risque d'avoir un agenda dissimulé…
L’indépendance du conseil en lui-même a nettement évolué ces dernières années, avec notamment le concept de séparation du Président du Conseil et du Management qui est encore très peu développé en Tunisie.
Alphamena, qui cite par exemple les 1500 sociétés S&P dont 90% ont aujourd’hui une forme de leadership indépendant contre seulement 10% en l’an 2000. Le cabinet calcule que sur son échantillon étudié en Tunisie, le taux d’indépendance des administrateurs et de 16% seulement avec un maximum à seulement 44%, ce qui es très peu pour garantir les intérêts des actionnaires minoritaires. D'un point de vue sectoriel, ce sont les sociétés financières qui affichent le plus grand nombre d'administrateurs indépendants, avec un taux moyen de 22% selon les chiffres d'Alphamena, et ce grâce aux directives de la Banque Centrale de Tunisie, contre seulement 12% pour les secteurs non financiers. Sur une base actionnariale, es entreprises contrôlées par l'Etat affichent la plus forte moyenne à 20% contre 15% pour le secteur privé et 14% pour les entreprises familiales.
Dans l'ensemble, Alphamena retient que le sujet de l’indépendance des administrateurs en Tunisie reste plus un slogan dans le sillage des idées de plus en plus en vogue de la bonne gouvernance. Les administrateurs indépendants en Tunisie sont essentiellement nommés pour satisfaire aux conditions réglementaires et accessoirement pour calmer les actionnaires minoritaires. Ils ont certes une liberté d’expression mais en définitive pas de réel pouvoir. Les administrateurs 'indépendants" semblent se résigner de cette position, indique Alphamena, n'ayant observé aucune velléité de changement voire même aucune contestation publique.
Beaucoup de sociétés tunisiennes sont encore réticentes à l'idée de séparer les fonctions de président du conseil et de directeur général ce qui peut être de nature à favoriser l’influence du management sur le conseil et limiter le rôle des administrateurs indépendants. Alphamena considère que la séparation a plus d'avantages que d'inconvénients, particulièrement pour un pays comme la Tunisie ou les administrateurs indépendants, si tant est qu'ils existent, ont un rôle marginal. Sur l'échantillon étudié par le cabinet, les observations font état d'une moitié de société ayant procédé à la séparation, le secteur financier affichant le plus gros pourcentage avec 13 compagnies sur 20, alors que seules 39% des compagnies non financières étudiées l'ont opéré.
Par ailleurs, Alphamena a compté sur un groupe de 411 administrateurs étudiés, 52 ayant simultanément des fonctions managériales au sein des mêmes sociétés, et bien que ce genre de dualité soit parfois défendues sous prétexte d'offrir une vision plus profonde de la situation opérationnelle et financière, il n'en demeure pas moins qu'une personne ne peut être à la fois juge et partie, estime Alphamena, qui ajoute que, malheureusement, 44 des 52 directeurs/administrateurs reçoivent à ce titre une double rémunération.
Sur la question de la rémunération, Alphamena a observé une hausse de 82% des salaires des directeurs généraux entre 2011 et 2014, la moyenne allant de 252 mille à 460 mille dinars, alors que de l'autre coté, les salaires moyen des employés n'a augmenté que de 28% sur la même période. Ceci a eu pour effet d'accentuer le gap, les CEO touchant en moyenne 10,9 fois le salaire moyen d'un employé en 2014 contre 7,7 fois en 2011.
Parallèlement, le salaire médians patrons masculins a augmenté de 67% sur la même période, celui des femmes de seulement 23%, le gap moyen s'est par conséquent élargi de 1,3 à 1,8 fois et ce, remarque Alphamena, malgré l'existence de signes d'une meilleure performance des sociétés dirigées par des femmes en terme de ROE, selon un rapport de 13% contre 7% pour leurs homologues masculins en 2014.
D’au autre coté, l'émancipation de la femme tunisienne est, dans une certaine mesure, confirmée selon l’étude: une présence relativement plus riche dans les conseils d’administration en se comparant au reste du monde arabe. Mais il y a encore du pain sur la planche. « au royaume des aveugles, les borgnes sont rois » commente d’ailleurs l’étude, car si la Tunisie est leader dans la région MENA pour ce qui est de la présence féminine dans les conseil d’administration, elle reste loin des pays européens comme la France où les Boards compte 32% de femmes, même si cette présence bénéfice de l’appui réglementaire, la loi française imposant un taux d’au moins 20% jusqu’en 2017 et 50% au-delà. Alphamena calcule qu’en 2014, 21 sociétés, soit 40% des sociétés tunisiennes couvertes par le cabinet ont au moins une femme au sein du conseil d’administration, contre 20% en 2010.