La transaction récente sur 22% du capital de Telnet acquis par un investisseur institutionnel la CTKD a mis provisoirement un terme aux déboires de la société qui s’est empêtrée dans des financements considérables et risqués avec la société Syphax airlines.
Pourtant Telnet est à l’origine une success story dans le secteur des technologies de l’information et l’un des plus gros exportateurs de services informatiques en Tunisie.
Son introduction en Avril 2011, dans la période de turbulence de l’après 14 Janvier, a été très favorablement accueillie par la communauté financière puisqu’elle a été souscrite plus de 3 fois. Valorisée à environ 60 Millions de Dinars, elle a eu une progression très rapide de son cours pour s’apprécier de plus de 20% en quelques séances de cotation. Au 31/08/2012, la valeur a atteint un niveau record à plus de 9 DT pour un rendement de près de 50%. Depuis, la valeur subir une sévère correction dans le sillage des évènements survenus dans le pays (attaque de l’ambassade des etats Unis, attentats politiques…) mais surtout de ses liens avec l’autre affaire de son actionnaire majoritaire Syphax Airlines. La valeur a perdu 39% de sa valeur depuis son plus haut de 2012 et est surtout en territoire négatif (-10%) par rapport à son cours d’introduction.
Le marché a tout d’abord commencé à s’inquiéter lorsque Telnet a souscrit pour un montant de 2,5 Millions de DT dans le capital de la compagnie aérienne. Cette opération approuvée par le Conseil du 17/02/2012 argumentait cette opération en affirmant « Au vu des intérêts communs et l’opportunité d’affaires pour le Groupe Telnet, le conseil a donné son accord… ».
Or, comme on se rendra compte plus tard, ce n’était qu’un début dans les relations entre Telnet et Syphax puisqu’en plus de la participation, celle-ci lui prêtera au 31/12/2014 plus de 24 Millions de Dinars sous différentes formes (billet de trésorerie, avances de trésorerie…). En d’autres termes, compte tenu de la difficulté d’accès de Syphax au marché bancaire et monétaire, Telnet est devenu le banquier par substitution de la compagnie. Une situation qui pourrait très bien se rencontrer dans plusieurs autres groupes privés en Tunisie ou ailleurs, mais, à condition de présenter un plan de restructuration de la société déficitaire et prouver ses capacités de remboursements aux actionnaires de la société prêteur. Ce qui s’est passé constitue une anomalie dans les relations au sein d’un même groupe, puisque quand bien même les opérations de financement peuvent être autorisées par des conventions, c’est le niveau de ces financements (1,5x les fonds propres de Telnet) et le caractère exclusif de ces financements, au mépris de l’orthodoxie financière de diversification, des risques qui posent problème. Judicieusement employé, le cash de Telnet aurait pu générer des revenus financiers substantiels et aurait pu améliorer les résultats de la société d’au moins 20% chaque année.
Cette situation qui a fragilisé Telnet en quelques années alors que celle-ci a continué sur un plan opérationnel d’afficher de bonnes performances financières mérite de nous poser les questions suivantes, toutes liées à la situation actuelle de la gouvernance d’entreprise chez nos sociétés cotées :
- Quelle est la responsabilité du Conseil dans l’approbation de conventions de financements risquées ou autres (mise à la disposition de locaux par un actionnaire ou un administrateur, prestation de services de conseil par un membre du CA, etc) et donnant lieu à de réels cas de conflits d’intérêts ?
- Faut-il instaurer un nouveau cadre légal plus restrictif pour limiter et mieux réguler les financements et autres opérations avec les parties liées ? Ne faut-il pas introduire des dispositions impliquant la validation par l’AGO avec une majorité qualifiée des conventions importantes ? Ne faut-il pas bien définir la normalité des actes de gestion entre parties liées, et surtout l’abus de majorité?
- Peut-on continuer à gouverner une société cotée comme on gouverne une entreprise familiale et faisant fi des intérêts des petits porteurs et autres actionnaires eux-mêmes exposés à des contraintes réglementaires et professionnelles (Les OPCVM principalement)?
- Est-ce que la représentation actuelle des petits porteurs est suffisante et remplit elle convenablement son rôle de contre pouvoir ?
Nous pouvons nous poser des tas d’autres questions mais il est clair que l’affaire Telnet est un cas flagrant de mauvaise gouvernance dans laquelle l’omnipotence et l’influence du fondateur de la société n’a pas pu être contrebalancée par les autres administrateurs de la société. L’introduction d’une société en bourse répond avant tout à un objectif de création de valeur aussi bien pour les anciens que pour les nouveaux actionnaires. En règle générale, toutes les fois où cet objectif a été dévoyé à cause de conflits d’intérêts (y compris pour l’actionnaire public qui cumule plusieurs casquettes « actionnaire, employeur, développeur, régulateur »…), la situation de la société concernée s’en trouve nettement dégradée.
En conclusion, ce qui s’est passé au cours des dernières années avec Telnet est grave et devrait servir de leçons à tous les dirigeants de groupes familiaux qui devront s’en tenir à la bonne vieille règle de gérer leurs affaires en « bon père de famille ». Avec l’entrée de la CTKD, l’hémorragie a été certes arrêtée mais quel gâchis ! Ceci s’est bien reflété sur le cours en bourse qui n’a pas réagi très positivement à cette opération de désendettement de Telnet ( hausse de 4% seulement depuis l’annonce) et reste encore bien en deça de son cours d’introduction (-10%). A moyen et long terme, il ne reste plus qu’à espérer que l’entrée de la CTKD constitue un bon signal d’investissement comme l’a été d’ailleurs sa dernière décision de désinvestissement du secteur hôtelier il y a quelques années de cela. Il reste aussi à espérer qu’un tel fleuron technologique national très envié par des acteurs régionaux ne soit sacrifié avec ses employés hautement qualifiés dans les jeux capitalistiques.
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